Adoption - Des promesses de secret menacées

Un projet de loi présentement à l’étude à l’Assemblée nationale menace l’équilibre longuement éprouvé entre les adoptés et les parents d’origine. Cette réforme au droit de l’adoption vise principalement l’avenir, mais certaines de ses dispositions porteraient atteinte à des promesses données aux parents d’origine. Les conséquences blessantes qu’elle imposerait à d’anciennes filles-mères, une population éparpillée, fragilisée et sous-représentée, sont particulièrement inquiétantes.
Des groupes de pression composés d’adoptés n’hésitent pas à se présenter sur la place publique pour revendiquer leur droit à l’identité. Or, il est absurde de s’attendre à ce que des groupes de parents d’origine manifestent de leur côté pour leur droit à la vie privée, leur droit au respect de la promesse donnée et leur droit de demeurer inconnus.
Selon le droit actuellement en vigueur, les adoptés peuvent s’adresser à un Centre jeunesse et recevoir un sommaire de leurs d’antécédents sociaux et biologiques (tirés du dossier d’adoption). Ils peuvent aussi demander d’être mis en contact avec leurs parents d’origine. Le Centre jeunesse tente de retrouver les parents et il demande à ces derniers la permission d’établir le contact ou de révéler leur identité.
Dans le sens inverse, un parent d’origine peut faire ces démarches pour être mis en contact avec l’adopté. Là encore, le contact ou la divulgation de l’identité de l’autre ne se fait qu’avec la permission de celui-ci.
Suivant la réforme, l’adopté continuera d’être automatiquement protégé. Seule la protection des parents d’origine sera amoindrie.
Qui fera la démarche?
La réforme introduira les notions de « veto de divulgation » et de « veto de contact ». Un veto de divulgation en faveur de l’adopté (ou du parent d’origine) interdit aux autorités de révéler l’identité de l’autre. Un veto de contact interdit simplement à l’adopté (ou au parent d’origine) de contacter l’autre.
La réforme enregistrera automatiquement un veto de divulgation en faveur de chaque adopté. Cependant, les parents d’origine devront entreprendre des démarches pour avoir cette protection. Ils auront un délai garanti de dix-huit mois, suivant la mise en vigueur de la réforme, pour inscrire un veto de divulgation. Après ce délai, ils pourront quand même inscrire ce veto, si l’adopté n’a pas encore demandé la divulgation de leur identité.
Il est permis de présumer que la plupart des parents d’origine n’entreprendront pas l’inscription d’un veto, y compris ceux qui souhaiteraient demeurer inconnus. Sauront-ils même que l’ancienne protection a été retirée, avant qu’il ne soit trop tard ?
Si le parent d’origine n’a pas pris le soin d’inscrire un veto de divulgation à temps, il sera quand même informé de la demande de l’adopté, sauf si le parent est introuvable, et aura la faculté d’enregistrer un veto de contact. L’adopté qui ne respecte pas le veto de contact sera passible d’une amende de 2500 $ à 25 000 $. En outre, le parent d’origine pourra poursuivre l’adopté pour une indemnité, y compris des dommages-intérêts punitifs.
Sauf peut-être dans les situations flagrantes de harcèlement, est-il réaliste de croire que le parent d’origine entreprendrait l’épreuve de porter plainte aux autorités ? Un procès au pénal ou au civil suggère aussi que le parent d’origine témoignerait contre l’adopté. Enfin, l’adopté pourra bien respecter le veto de contact, mais quand même contacter l’entourage ou la famille du parent d’origine.
Des histoires déchirantes
Le Québec a vite oublié les deux histoires douloureuses qui se rencontraient jadis dans une grossesse et une naissance hors du mariage. La grande majorité des enfants adoptés au Québec avant les années 1980 n’étaient pas nés d’un mariage, ils étaient dits illégitimes (il semble nécessaire de se servir de ce terme révolu ici, tout comme son pendant fille-mère, pour bien refléter le poids de honte et d’opprobre que la société imposait à ces individus). La loi était beaucoup plus ouverte à l’adoption des enfants illégitimes qu’à celle des légitimes.
Les maternités et les centres d’hébergement qui accueillaient les filles-mères avaient des précautions rigoureuses pour protéger leur identité et donc leur permettre de refaire leurs vies. La situation économique et sociale de la plupart des filles-mères était difficile. Elles cachèrent souvent leur grossesse de peur d’être rejetées par leurs familles et de peur de perdre toute chance de se marier à l’avenir. Les employeurs voulaient avoir des employées respectables. Elles ne pouvaient même pas recevoir les maigres prestations de la Loi instituant l'assistance aux mères nécessiteuses (remplacée en 1969 par la Loi sur l’aide sociale). Dans une époque d’avant les tests d’ADN, les actions en justice contre le père étaient bien rares.
Les parents d’origine, surtout les mères d’origine, ont parfois vécu des histoires déchirantes (y compris même le viol et l’inceste). L’avortement n’est librement accessible que depuis les toutes dernières décennies du XXe siècle (aujourd’hui encore, certaines femmes décident de mener une grossesse à terme, en raison de leurs convictions religieuses ou morales, mais remettent l’enfant vers l’adoption). Exiger qu’elles entreprennent l’enregistrement d’un veto, c’est exiger qu’elles affrontent de nouveau leurs cicatrices émotionnelles, après avoir acquis une certaine paix au fil des années. Si elles sont âgées, en perte d’autonomie, elles devront se confier à un proche ou peut-être même à un étranger.
Enfin, le droit en vigueur s’adresse déjà aux préoccupations médicales des adoptés, tout en protégeant l’anonymat du parent d’origine. En cas d’un risque de préjudice grave à la santé de l’adopté ou à la santé de ses proches, ils peuvent demander l’information nécessaire (par l’entremise d’un Centre jeunesse et suivant la permission du tribunal).
Le législateur doit toujours garder à l’esprit la situation économique et sociale propre au Québec. Quand il entreprend des réformes dans le droit de la famille, il se doit d’y mettre un soin particulier, puisque ces décisions peuvent avoir des impacts décisifs sur le cours d’une vie. Mais le législateur doit faire preuve d’encore plus de réflexion et de prudence lorsqu’il propose de modifier unilatéralement des promesses de secret qui sont en place depuis des décennies.