La 3D au cinéma ou comment arnaquer le client

Lot de lunettes 3D au dernier Festival de Cannes
Photo: Agence France-Presse (photo) Loic Venance Lot de lunettes 3D au dernier Festival de Cannes

Le film Pacific Rim de Guillermo del Toro fait un usage surabondant d’images de synthèse, pour notre plus grand plaisir de geek d’ailleurs. Or le réalisateur a longtemps refusé que son film soit projeté en 3D, expliquant que la perspective de l’image offerte par cette technologie de post-conversion numérique ne convenait pas au film qu’il réalisait. La 3D donnerait selon lui l’impression à l’écran que les énormes monstres sont petits, miniaturisés en quelque sorte. Une impression allant à l’encontre du principe du spectaculaire voulu par ce genre de film. Or il s’est ravisé, présentant ainsi sa décision au site Shock Till You Drop : « J’ai exigé du studio, d’abord, qu’il ne verse pas dans l’hyper-stéréoscopisation du film. En d’autres termes, que nous ne forcions pas l’effet 3D sur les “ prises beauté ” afin de conserver le gigantisme des dimensions. Ils ont accepté.»

Il y a une grande différence entre un film originalement tourné en 3D, pensé pour la 3D, et un autre film dont les producteurs décident de manière impromptue en cours de tournage qu’il sera post-converti à la 3D. Christopher Nolan, un puriste de la pellicule et de la 2D, n’a pourtant pas eu besoin de la stéréoscopie pour obtenir du succès avec The Dark Knight Trilogy (The Dark Knight Rises, projeté en 2D, récolta plus de 1 milliard en recettes aux guichets. D’autres exemples ? Skyfall de Mendes). Le cas d’Avatar est différent, car il fut tourné en 3D et le thème de l’immersion dans un corps étranger s’accordait bien avec l’immersion esthétique et visuelle du spectateur. La 3D servait le propos du film.

 

Soyons pragmatiques. Comment le consommateur réagit-il devant les nombreuses options de projection qui lui sont offertes ? Est-ce que les clients au cinéma choisissent en premier la 3D par rapport à la 2D ? Parce qu’avec les frais supplémentaires de 3 $ gentiment imposés au client pour une représentation en 3D, la sortie au cinéma commence à coûter cher. Il y a ici un problème éthique et commercial. Les exploitants de salles sont un peu comme des schizophrènes libérés de prison qui ne voulaient pas en sortir, pris entre l’arbre et l’écorce. Ne voulant pas s’obstiner avec les géants distributeurs, les exploitants refilent le problème aux clients. […]

 

Leonard Maltin révèle quelques chiffres intéressants sur son blogue : Gatsby n’a récolté que 33 % des recettes sur la version 3D et Iron Man, 3,45. De plus, une dernière donnée rendue publique récemment sur le site Filmjunk à propos des recettes de Despicable Me 2 indique une baisse record des ventes (depuis 2009) de billets pour les représentations 3D (27 %). Sans compter qu’après deux ou trois semaines de projection, le film projeté en 2D dans une salle ou deux est souvent retiré pour n’offrir que l’option 3D, maquillant ainsi avantageusement les statistiques de la 3D.

 

L’essentiel de mon propos est ici : les distributeurs jouent avec les statistiques pour justifier une demande inexistante chez le spectateur de films. Ils créent ainsi une demande virtuelle pour la 3D en restreignant l’offre dans les salles de cinéma, et cela, en diminuant l’offre 2D. Le client se fait littéralement rouler, il est le dindon de la farce. Il n’y a rien de scientifique ici, mais personne dans mon entourage n’aime regarder un film en 3D au cinéma (cela dépend évidemment des intentions artistiques du film). Le port des lunettes peut déranger. Porter celles-ci nous rappelle constamment qu’on est en train de regarder un film, ce qui est complètement contraire à la qualité immersive proposée par la 3D. Les lunettes diminuent également la luminosité, ce qui donne la désagréable impression d’avoir un voile devant le visage. Les lampes des projecteurs ne compensent pas cette perte de luminosité provoquée par les lunettes. Conséquemment, l’image est plus sombre. Les distributeurs et les majors américaines semblent ne pas avoir encore compris que l’immersion narrative de la 2D est beaucoup plus efficace et mémorable que la sensation prétendument immersive de la 3D.

 

Cerveaux trompés

 

Pourquoi ? Les producteurs et distributeurs ne trafiquent pas seulement les statistiques du box-office à leur avantage, ils trafiquent également le cerveau. Les deux yeux parcourent naturellement ce qui se présente devant eux, de manière erratique et selon la curiosité de la personne et l’impulsion du moment. Lors de l’écoute d’un film, si la profondeur de champ d’un plan est faible et que le réalisateur veut faire basculer l’attention du spectateur de l’avant-plan vers ce qu’il y a à l’arrière-plan, le caméraman opérera ce qu’on appelle dans le jargon un « rackfoyer », qui prendra le temps voulu selon le rythme désiré. Si la profondeur de champ est bonne, par contre, l’oeil parcourra toute l’image à sa guise selon la mise en scène.

 

Qu’arrive-t-il pendant un film en 3D ? On trompe le cerveau en lui faisant croire que l’image planant devant lui possède une perspective. L’oeil et le cerveau réagissent donc comme si le plan possédait les caractéristiques d’une image réelle et emprunte le comportement erratique décrit ci-dessus. Le problème ? La 3D force la mise en scène de l’attention du spectateur, mais cela crée un conflit avec le comportement naturel du cerveau qui veut explorer l’image. Le cerveau doit compenser et dépenser une certaine dose d’énergie pour garder le contrôle sur la perspective du film 3D. Ainsi, quand le cerveau veut naturellement « scanner » la surface de l’écran 3D, donc aller à l’encontre des changements d’attention et de mise au point forcé par le film, il ne sait plus où donner de la tête (!).

 

Bref, en plus de reprocher à un certain cinéma de prendre son spectateur par la main en lui racontant des histoires simplettes […] l’offre surabondante de la 3D nous permet de croire que l’on veut également pirater notre cerveau. La solution ? Demander que l’offre des films 3D corresponde minimalement à 50 % de l’offre 2D pour un même film, et qu’en plus les deux options restent dans un même cinéma jusqu’à ce que le film sorte totalement du circuit. Jusqu’à nouvel ordre, je ne vais pas voir de films en 3D (je serais peut-être retourné voir Man of Steel, mais il n’était plus disponible en 2D). Et vous ?


Marc Joly-Corcoran – Chargé de cours de cinéma, réalisateur et corédacteur en chef de kinephanos.c

 

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