Jugement à Saguenay - La faute à la «laïcité ouverte»

Depuis qu’est tombé le jugement de la Cour d’appel concernant la prière au Saguenay, les défenseurs d’une « laïcité ouverte » aux religions se sont empressés d’occuper l’espace médiatique pour y critiquer sévèrement l’interprétation du juge Gagnon, lui reprochant principalement d’avoir donné au concept de patrimoine religieux une extension telle que l’on pourrait même célébrer une messe à l’Assemblée nationale. C’est ce qu’a affirmé Gérard Bouchard.
Or, rien n’est plus faux. Avec ce jugement, loin de pouvoir dire une messe, le maire ne pourra même plus faire son signe de croix. Au paragraphe 150, le juge Gagnon écrit que « le signe de croix constitue une attitude engagée qui remet en cause la neutralité religieuse de la Ville parce que cette conduite constitue une adhésion publique au catholicisme ». Mais alors, comment expliquer que le maire va pouvoir continuer à dire sa prière ?
Ce n’est pas son caractère patrimonial qui fait que, pour le juge, cette prière ne porte pas atteinte à la neutralité de l’État. C’est son caractère universel qui la rend acceptable à ses yeux, parce qu’il la considère comme une ouverture à toutes les religions, du moins les religions monothéistes, puisqu’elle peut convenir autant aux juifs, qu’aux chrétiens ou aux musulmans et qu’elle ne s’identifie à aucune religion particulière.
Dans un texte du Devoir, Francine Pelletier a affirmé « que le juge Gagnon vient […] d’élever la religion catholique au-dessus de toute autre… ». C’est faux ! Le juge n’est pas le maire. C’est d’ailleurs pour cela que les juristes Pascale Fournier et Pierre Bosset lui ont reproché d’avoir attribué à la prière du maire un caractère oecuménique, sans tenir compte du contexte, c’est-à-dire d’avoir négligé le fait que Jean Tremblay mène un combat pour défendre l’identité catholique des Canadiens français.
Francine Pelletier a également reproché au juge de considérer cette prière comme de la « neutralité bienveillante ». Mais ce concept, qui met toutes les religions sur un même pied, vient du professeur de droit José Woehrling, qui joue dans la même équipe que F. Pelletier et G. Bouchard et sert habituellement à défendre le voile et le turban.
Dans ce jugement, nombreux sont les paragraphes où l’on parle d’ouverture à la diversité religieuse, et les raisons ayant motivé la décision du juge Gagnon se fondent non pas tant sur une extension abusive du concept patrimonial, mais essentiellement sur la conception d’une laïcité ouverte à toutes les religions, exactement le type de laïcité qui est prônée par Gérard Bouchard et son équipe d’universitaires.
Toutes les religions
Ce jugement ouvre la porte à toutes les religions, catholicisme inclus. Et comme l’a fait si justement remarquer Djemila Benhabib, il nous rapproche de Queen’s Park en Ontario, où l’on récite sept prières avant le début de chaque séance.
« Depuis quand les énoncés de valeurs universelles se drapent-ils de religieux ? », s’insurge G. Bouchard. Depuis que la neutralité est devenue « bienveillante » au point d’accueillir toutes les religions. C’est cela la « laïcité ouverte » : une position d’ouverture telle que si demain matin les clercs catholiques décidaient de porter à nouveau leur cornette et leur soutane pour enseigner dans les écoles, ils le pourraient ; tout comme le font actuellement les enseignantes et les éducatrices portant le voile islamique.
Tout est là. Dans cette prétendue neutralité multiconfessionnelle où toutes les religions s’avancent en même temps pour contrer la laïcité et retrouver une légitimité dans l’espace civique.
Le « multi » est devenu la voie royale pour faire passer la religion. Suffit de ne pas se démarquer du peloton. Enfin, pas encore…
Dans le rapport Bouchard-Taylor, au chapitre de la laïcité, il est recommandé « que l’État reproduise et diffuse chaque année auprès des gestionnaires d’institutions et d’organismes publics ou privés un calendrier multiconfessionnel indiquant les dates des fêtes religieuses » : Rosh Hashanah, Aid al-Fitr, Visakha Puja et Noël.
Dans son livre L’interculturalisme, G. Bouchard affirme que « l’un des buts de la pratique des accommodements est de protéger les minorités contre les débordements (souvent involontaires ou inconscients) de la majorité », ajoutant comme exemples de débordements : « un régime unique de jours fériés modelé seulement sur la religion majoritaire, des manuels scolaires qui ignorent la réalité des minorités, un menu uniforme dans les cafétérias des établissements publics… ». Ici, l’avenir est au multiculturalisme.
Être plusieurs à la fois. C’est ce que Mgr Lépine a compris, lui qui, le jour même de l’annonce du jugement, participait avec des représentants d’autres cultes à un colloque sur la religion et la laïcité à l’Université McGill, où il réaffirmait sa position pour une laïcité ouverte. Après tout, c’est ouvert pour tous. C’est cela l’égalité, non ?
Les catholiques ont décidé d’entrer dans la danse. C’est probablement l’élément qui a échappé à G. Bouchard et son équipe, parce que ces experts roulent imprudemment sans rétroviseur dans lequel ils auraient dû voir venir Mgr Lépine et son projet de garderies catholiques. Cela s’appelle se faire dépasser sur sa droite…
Loin d’être un retour en arrière comme le prétend G. Bouchard, ce jugement nous propulse en avant, dans un avenir multiconfessionnel, catholicisme inclus. Le Québec est en voie de devenir une société multireligieuse. Une religion, c’était déjà trop, et voilà maintenant que plusieurs, ça serait mieux. C’est cela, la laïcité ouverte. S’ouvrir à tout, y compris l’intégrisme religieux. Un beau gâchis qui ne fait que commencer et auquel notre élite multiculturaliste contribue largement.
La bataille pour un Québec laïque sera rude et le ministre Drainville aura fort à faire parce qu’il n’y a que le PQ qui défend la laïcité. Dans l’équipe adverse, défendant l’ouverture à toutes les religions, les joueurs étoiles sont le Parti libéral, Québec solidaire, Mgr Lépine (une nouvelle recrue !), G. Bouchard entouré de ses experts et des représentants des cultes juif et musulman. C’est sans compter le maire Tremblay qui prie dorénavant pour Dieu, pour Yahvé et pour Allah, lui qui, voulant réciter la prière du « Nous », se voit maintenant condamné à réciter celle des « Mous ».
Qu’ont en commun tous ces gens ? Ils sont tous contre la laïcité et les intentions du PQ. Alors, tant qu’à faire dans l’oecuménisme, à prier Dieu, le Grand Papoute et le Petit Papoute, pourquoi pas une prière pour Bernard !
Mais les athées, ils ne prient pas ? Quoi, les athées ? Ils n’auront, comme le dit monsieur le juge, qu’à aller se chercher un café !