Lettre ouverte à la Fédération de soccer du Québec - Le foot pour tous!
La décision de la Fédération de soccer du Québec d’interdire aux jeunes garçons sikhs portant le turban de jouer au soccer au sein de ses clubs est non seulement déplorable, elle a aussi pour conséquence d’envenimer inutilement le climat social au Québec. Une des conséquences perverses et prévisibles de la décision de la FSQ aura été de polariser les tensions autour de la question identitaire au Québec en braquant les « immigrants » contre les « Québécois ».
Dans le brouhaha suscité par cette décision controversée, les uns sont dépeints comme des nouveaux arrivants ingrats qui imposent leurs croyances religieuses sans aucun égard à la société d’accueil tandis que les autres sont dépeints comme des nationalistes xénophobes congénitaux. Malheureusement, ces caricatures réductrices n’enrichissent nullement le débat ; au contraire, elles nous enlisent tous dans des disputes stériles dont le Québec contemporain doit absolument se libérer. De nombreux Québécois de toutes les origines, de toutes les appartenances religieuses et de toutes les allégeances politiques confondues (comprenant des souverainistes convaincus) déplorent la décision de la FSQ pour un ensemble de raisons fort raisonnables qu’il nous semble important de rappeler sans verser dans les clichés. En voici une sélection.
1) Aucun motif de sécurité ne justifie le fait que la FSQ interdise aux garçons sikhs qui portent le turban de continuer à jouer au soccer comme ils le faisaient la saison dernière et toutes les autres saisons passées.
2) Aucun motif valable ne justifie le fait que la FSQ s’en remette à l’instance décisionnelle de la FIFA alors que l’Association canadienne de soccer avait déjà adopté une politique à ce sujet-là pour les ligues de récréation concernant les enfants. Qu’on soit fédéraliste, souverainiste ou agnostique, il existe donc des « normes coutumières » applicables à des contextes analogues sur lesquelles on pouvait s’en remettre en attendant que la FIFA ressente la nécessité (le cas échéant) de trancher cette question.
3) Dans la mesure où la FIFA a déjà tranché pour permettre aux jeunes joueuses musulmanes de porter le hidjab depuis le 5 juillet 2012, des raisons probantes laissent présager qu’elle permettra aux jeunes sikhs de porter le turban pour jouer au soccer. En tout cas, ces raisons sont suffisantes pour permettre à la FSQ, en toute légitimité, de ne pas trancher en faveur d’une prohibition immédiate et absolue du port du patka.
4) Le soccer est un terrain formidable de coexistence multiculturelle qui facilite l’intégration des jeunes immigrants à la société d’accueil et permet aussi aux membres de la société d’accueil de mieux apprécier l’apport des nouveaux arrivants en favorisant l’éveil des amitiés et des solidarités sportives. Il est très étonnant que la FSQ n’ait pas considéré cet aspect-là dans sa décision.
5) Le hidjab ou le patka ne sont pas simplement des « trucs sur la tête », n’en déplaise au chroniqueur Pierre Foglia. Avant de forcer des enfants à choisir entre le sport et un aspect constitutif de leur identité, avant de séparer des groupes d’enfants en leur interdisant formellement de jouer au soccer ensemble, il faut d’abord s’assurer qu’il existe un risque de tort véritable. L’argumentaire présenté par la FSQ échoue lamentablement à en faire la démonstration.
6) En vérité, le sport est un domaine crucial de la vie en société où les critères d’exclusion ont souvent reflété des formes de discrimination sociale ambiantes (racisme, sexisme, handicaps, homophobie). Mais le sport est également une sphère extraordinaire de la société que l’on célèbre parce qu’il permet précisément une ouverture au monde par-delà les différences et les frontières réelles ou imaginaires. Bien qu’il soit inutile de faire un procès d’intention aux représentants de la FSQ, leur décision a une portée sociale au-delà des motivations subjectives de tout un chacun. C’est pourquoi nous sommes nombreux à l’interpréter comme une forme de fermeture d’esprit et de conservatisme extrêmement regrettables.
7) Ce qu’il était également facile à prévoir est le fait que, faute d’explications rigoureusement claires et justifiables, la décision de la FSQ soulèverait un débat hautement politique qui semble, en effet, contribuer au climat parfois malsain du débat identitaire au Québec. Celui-ci est sans doute important, mais il nous faut peut-être davantage l’assainir par la qualité de nos échanges publics. Dans la mesure où aucun motif sérieux ne justifie que ce débat ait lieu sur le terrain de foot de nos enfants, de grâce, laissons nos jeunes jouer tranquilles.
La décision de la FSQ soulève des tensions inutiles entre des enfants sikhs et leurs coéquipiers non sikhs. Ils ne pourront pas jouer ensemble cette saison. Telle est la conséquence la plus désolante de la décision de la FSQ. Plutôt que de pécher par excès de zèle purement légaliste, la FSQ aurait pu adopter une posture tout simplement plus humaniste que, franchement, personne ne lui aurait reproché avec autant de véhémence. Le sport est non seulement un des vecteurs les plus importants de la socialisation, a fortiori les sports d’équipe, c’est également une des activités les plus cruciales au développement et à l’épanouissement des enfants. De tous les enfants du Québec. Il est à espérer que la FSQ révisera sa décision dans les meilleurs délais. Loin d’être un aveu d’échec, ce serait un puissant témoignage de délibération critique et publique ainsi qu’un formidable geste d’ouverture qui rendrait honneur à la mission sociale de l’organisme.
Ryoa Chung - Professeur, Université de Montréal
Michel Seymour - Professeur, Université de Montréal
Elizabeth Elbourne - Professeure, Université McGill