Retrait de l’Université Laval de la CREPUQ - Une opération cousue de fil blanc

De 1997 à 2005, je fus le premier directeur des relations gouvernementales de l’Université Laval. C’est donc avec étonnement que j’ai appris la décision du recteur Denis Brière de se retirer de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ). C’est aussi avec scepticisme que j’ai lu les motifs invoqués par l’administration de l’Université pour agir ainsi. Dans son communiqué à ce sujet, le recteur Brière allègue que « la CREPUQ est une entité qui ne répond plus aux besoins de l’Université Laval », qu’une tendance se développe de considérer toutes les universités québécoises comme un groupe homogène et que cette tendance « fragilise également l’autonomie des universités ». Il ajoute : « L’identité et l’autonomie des universités ne doivent pas être mises à risque aux fins d’une uniformisation administrative et politique. [...] Car la structure [de la CREPUQ] rend difficile l’affirmation de l’identité de chacun de ses membres. » Enfin, « Nous sommes particulièrement inquiets de voir cette tendance à considérer toutes les universités québécoises comme des institutions publiques et uniformes. »
Des motifs futiles
Ces raisons sont cousues de fil blanc. La CREPUQ, contrairement au Conseil des universités de l’Ontario, n’est pas à proprement parler un lobby, un organisme « de défense et de promotion » de ses institutions membres. Celles-ci sont capables de le faire par elles-mêmes. La CREPUQ est un organisme de mise en commun d’information et de concertation sur l’enseignement, la recherche, les populations étudiantes et les informations financières des universités québécoises, ce qu’elle fait pour ses membres et pour le ministère de l’Enseignement supérieur. Elle est une voix commune des universités sur divers enjeux touchant l’ensemble de l’enseignement supérieur. S’en retirer affaiblit donc cette voix.
Quand le recteur Brière invoque l’homogénéisation grandissante des universités au sein de la CREPUQ, j’ignore ce qu’il veut dire. J’ai oeuvré activement pour trois de ses prédécesseurs, MM. Michel Gervais, François Tavenas et Michel Pigeon qui, tout en demeurant membres de la CREPUQ, n’ont jamais hésité à défendre privément et publiquement le caractère et les besoins spécifiques de l’Université Laval. En 2004, le recteur Pigeon, en commission parlementaire, a publiquement dérogé, avec l’appui explicite de sa communauté, à la position de la CREPUQ sur l’avenir des cégeps et défendu une position propre à l’Université Laval. En 2000-2001, j’ai accompagné le recteur François Tavenas dans sa bataille du financement universitaire où la CREPUQ ne pouvait s’engager. Rien n’a empêché M. Tavenas de promouvoir les intérêts de l’Université Laval auprès des autorités ministérielles.
La distinction que M. Brière établit entre les universités « publiques » (le réseau de l’Université du Québec) et les universités « à charte privée » n’est quand même pas un motif suffisant pour claquer les portes de la CREPUQ. Depuis les années 1960, les universités québécoises publiques ou à charte privée sont traitées grosso modo de la même façon par le gouvernement du Québec. Leur financement, avec certaines nuances, est le même ; les droits de scolarité sont régulés dans tous les établissements de la même façon, et même les conditions de travail sont à peu près les mêmes. Si j’étais ironique, je dirais qu’il n’y a que les salaires des dirigeants qui varient : plus élevés dans les universités à charte privée, et moins dans les universités publiques. En somme, les motifs invoqués du retrait de l’Université Laval sont futiles et ne justifient pas une décision aussi importante. Mais il y a plus.
Affaiblir l’enseignement supérieur québécois
L’enseignement supérieur québécois est une belle réussite collective, source de fierté. Ce développement est le fruit d’un effort collectif considérable et d’une concertation constante entre les universités elles-mêmes, ne serait-ce que pour empêcher des duplications inutiles de programmes. Croyez-moi : cette concertation ne va pas sans grincements de dents en raison de la rivalité entre établissements, mais elle se fait quand même, et c’est à la CREPUQ qu’elle se réalise.
L’Université Laval devra assumer les conséquences concrètes de cette décision (coordination interuniversitaire, admissions, mobilité étudiante, évaluation des nouveaux programmes, usage des bibliothèques, échanges entre les membres des directions d’université).
Isolée, l’Université Laval n’aura pas un meilleur accès auprès des autorités gouvernementales. J’en sais quelque chose. Ce n’est pas ainsi que cela se passe. La CREPUQ va continuer son travail, mais elle sera affaiblie.
En un mot, c’est l’enseignement supérieur qui sort affaibli de cette étrange décision du recteur Brière. Ce dernier, sans consultation de sa communauté, a pris une mauvaise décision pour l’Université Laval et pour l’enseignement supérieur québécois dans son ensemble. Je lui souhaite le courage de le reconnaître et l’humilité requise pour revenir sur ce retrait inutile, non fondé et aux effets essentiellement pervers.
Michel Héroux - Ex-directeur des relations gouvernementales de l’Université Laval