Journée contre la brutalité policière - Retour sur le printemps de la matraque

Manifestation nocturne à Montréal dans le cadre du printemps érable. Alors que personne ne nous protège de la police, comment s’étonner que la manifestation contre la brutalité policière exprime tant de colère ? se demande l’auteur.
Photo: - Le Devoir Manifestation nocturne à Montréal dans le cadre du printemps érable. Alors que personne ne nous protège de la police, comment s’étonner que la manifestation contre la brutalité policière exprime tant de colère ? se demande l’auteur.

«La crise sociale est derrière nous», s’est félicitée Pauline Marois à la fin du Sommet sur l’éducation. Quelques heures après, les agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont chargé une paisible manifestation pour la gratuité scolaire, sous le prétexte que la foule leur lançait des boules de neige. Comment expliquer cette brutalité policière ? Des études paraissent enfin, ou sont sur le point de paraître, au sujet du printemps de la matraque (voir le nouveau numéro de Possibles et le rapport que lanceront la Ligue des droits et libertés, l’Association des juristes progressistes et le comité légal de la CLASSE/ASSE). Pour ma part, dans une étude à paraître dans À qui la rue ? (début mai, chez Écosociété), j’ai comparé la mise en récit justifiant les interventions policières et la réalité de la répression. Cette mise en récit présentée par la police relevait du sens commun : un événement a dégénéré et la police a été forcée d’intervenir. On a ainsi dit que les « casseurs » lançaient des projectiles, bloquaient une porte ou une rue, portaient des cagoules… Selon ce récit, la police a le beau rôle, quelle que soit son intervention. Et sa victime (manifestantes et manifestants) est toujours responsable de la répression qui la frappe.

 

Une réalité plus complexe


Pour évaluer la véracité de cette mise en récit, nous disposons d’un riche matériel, soit les déclarations de la police en points de presse ou sur Twitter. De la fin mai au mois d’août 2012, le SPVM a annoncé avoir été la cible de projectiles à six occasions, au moins. Or, parfois, il n’y a eu qu’une ou deux arrestations (12 juin, 14 août) ou même aucune (8 et 28 août). Et le 30 avril, la police de Québec a encerclé une manifestation paisible d’une centaine de féministes, à peine 10 minutes après son départ. Bref, attaquer la police n’entraînait pas nécessairement une intervention policière, et marcher paisiblement ne garantissait pas le respect du droit de manifester.


Porter attention à la chronologie du printemps érable permet de constater que la répression s’est intensifiée au moment de l’adoption de la loi spéciale, même s’il n’y a pas eu d’arrestation en vertu de cette loi. De toutes les arrestations (près de 3500), plus d’un tiers (environ 1350) sont survenues du 16 au 23 mai. La police de Québec a arrêté 176 personnes le 23 mai, même si « la manifestation s’est déroulée dans le calme », selon Le Devoir. Le contexte politique (un gouvernement libéral voulant casser le mouvement) semble donc avoir influencé la répression policière, indépendamment des formes de manifestations.


L’idéologie associée à une manifestation est un autre indicateur significatif. La répression a durement frappé trois mobilisations associées à l’extrême gauche. La manifestation du 15 mars 2012 contre la brutalité policière a été chargée et dispersée 18 minutes après son commencement. Des projectiles avaient ciblé des policiers, disait-on. Le porte-parole du SPVM, Ian Lafrenière, a précisé : « [q]uand des manifestants bloquaient la circulation automobile, comme hier sur la rue Sherbrooke, il fallait les disperser rapidement. On a toujours peur […] qu’un automobiliste […] fonce sur eux » (justification déjà avancée le 15 mars 2002). Or, des dizaines de manifestations ont emprunté la rue Sherbrooke, sans entraîner d’intervention policière.


La manifestation du 1er mai organisée par la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC) s’est soldée par plus de 100 arrestations et plusieurs blessures graves après une charge de dispersion, même si elle avait débuté paisiblement.


Enfin, les mobilisations contre le Grand Prix de F1 ont été précédées par l’arrestation d’une douzaine d’activistes déjà accusés et assignés à résidence, et marquées par l’encerclement d’une manifestation (avant son départ) organisée par la CLAC, puis par des dizaines d’arrestations. Le commandant Alain Simoneau, du SPVM, a déclaré aux médias que les fouilles et détentions sur l’île Sainte-Hélène étaient justifiées parce que les policiers auraient trouvé dans des sacs des objets dangereux, dont « des couteaux avec des cordes au bout qui pouvaient servir de boomerangs contre les policiers » (un policier a-t-il le droit de fabuler ainsi publiquement ?). Il évoquera aussi, tout comme Marc Parent, chef du SPVM, la saisie d’imitations d’armes, alors qu’il s’agissait de matériel de théâtre sans lien avec le conflit social. Bref, il semble que la police ait cherché à manipuler les médias et l’opinion publique. D’ailleurs, le commandant Simoneau a précisé que toute l’opération ciblait « des gens identifiés, connus » « pour participer à des manifestations » ou ayant des comportements suspects, mais deux journalistes du Devoir ont expliqué le lendemain avoir été fouillés et détenus sans raison (outre le port d’un carré rouge).

 

Besoin d’une commission d’enquête


L’ampleur de cette répression, son côté arbitraire (profilage politique) et la manipulation policière qui l’accompagnait, tout cela appelle une réflexion systématique que ne permettent pas les plaintes individuelles en déontologie. Comme l’ont déjà demandé plus de 50 organismes à Montréal et à Québec, il faut une commission d’enquête publique sur l’ensemble des opérations policières, y compris les motivations et les discours (internes et publics) de la haute hiérarchie policière.


Dernièrement, Marc Parent déclarait fièrement au Globe Mail, en référence au printemps de la matraque, que « [l]es forces de police de partout au monde viennent maintenant pour connaître nos techniques de contrôle de foule ». De tels propos donnent froid dans le dos. Alors que personne ne nous protège de la police, comment s’étonner que la manifestation contre la brutalité policière exprime tant de colère ? Et que la police réprime brutalement cette manifestation qui critique précisément la brutalité policière ? Qu’importe, la police dira qu’elle a été forcée d’intervenir… Elle jouit de l’impunité quant à ses gestes et ses paroles. Le printemps de la matraque le lui a confirmé. Non, la crise sociale n’est pas derrière nous.

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