Manifeste - Halte aux attaques contre les droits des femmes

La Journée internationale des femmes, le 8 mars, est depuis plus de 100 ans un moment privilégié pour faire le point sur les luttes des femmes et attirer l’attention sur des questions visant à obtenir l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est aussi une occasion de mettre en lumière des faits prouvant qu’il y a encore des défis à relever, voire des batailles à reprendre et des principes à rappeler.
Nous constatons…
Nous constatons que le féminisme, qui vise l’émancipation des femmes et lutte contre l’oppression patriarcale, est maintenant fragmenté et détourné de son objectif. Or, l’oppression des femmes est spécifique, globale et universelle :
spécifique, car elle s’articule à d’autres oppressions sans obligatoirement les inclure ;
globale, car elle se constate aussi bien dans la sphère publique sur les plans social, politique et économique que dans la sphère privée des points de vue familial et sexuel ;
universelle, car elle existe, toutes modalités confondues et à des degrés divers, dans toutes les sociétés.
Nous constatons que, devant l’infériorisation des femmes, la solidarité et l’action féministes se sont édifiées avec des priorités d’action qui souvent varient en fonction de la diversité des cultures. Il convient de rappeler que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), adoptée par l’ONU en 1979, est entrée en vigueur en 1981 et lie 187 États, dont le Canada. Le Québec s’est également déclaré lié par cette convention.
Nous constatons que le mouvement féministe, dont le postulat sous-tend que, du seul fait de leur humanité, les femmes et les hommes ont une valeur et une importance intrinsèques égales, a fait progresser la cause des femmes et a réussi à faire évoluer un certain nombre de sociétés vers une humanisation et une qualité de vie démocratique plus grandes. La société québécoise fait partie de toutes celles qui ont bénéficié de ces avancées : les femmes et les hommes du Québec ont raison d’en être fiers et de revendiquer le principe de l’égalité des sexes comme une valeur fondamentale.
Nous constatons que certains acquis du mouvement féministe sont fragilisés tant par des revendications à caractère religieux que par d’autres à caractère libertaire pour le libre marché de la prostitution, et ce, au nom même du « féminisme ». Nous nous inscrivons en faux contre cette forme d’usurpation des luttes menées antérieurement.
Nous dénonçons…
Nous dénonçons certaines décisions et mesures adoptées ou tolérées par les pouvoirs publics, qui minent, sinon abolissent carrément des acquis importants et durement gagnés par nos luttes.
Nous dénonçons les tentatives répétées des élus du Parti conservateur qui veulent interdire le droit d’accès à l’avortement.
Nous dénonçons la décision de la Cour suprême du Canada qui, en acceptant qu’une femme puisse témoigner dissimulée sous un niqab, privilégie une interprétation discutable de la liberté religieuse au détriment du droit à la dignité des femmes, faisant ainsi fi des conventions internationales.
Nous dénonçons la création, par le gouvernement fédéral, d’un Bureau de la liberté de religion qui, de facto, place la liberté religieuse au-dessus de la liberté de conscience, alors même que les droits des femmes sont souvent remis en question au nom de la liberté religieuse.
Nous dénonçons un système judiciaire qui accorde de plus en plus de droits aux exploiteurs et aux profiteurs de la marchandisation du corps des femmes dans la prostitution, la traite à des fins d’exploitation sexuelle et de pornographie, gommant ainsi le fait qu’il s’agit le plus souvent de femmes vivant dans la pauvreté.
Nous dénonçons les prises de position de certains défenseurs des droits de la personne qui, au nom de la liberté religieuse, se portent à la défense de pratiques culturelles discriminatoires à l’endroit des femmes.
Nous dénonçons le relativisme culturel qui entrave l’accès à l’égalité des filles et des femmes immigrantes en accordant la priorité au respect de certaines traditions et coutumes patriarcales liées à leur pays d’origine.
Nous dénonçons certaines prises de position d’organismes voués en principe à la défense des droits des femmes, mais qui participent aux reculs imposés aux femmes en privilégiant les libertés individuelles au détriment des droits collectifs de toutes les femmes, contribuant ainsi à isoler certains groupes de femmes, à renforcer leur oppression et à réduire en fin de compte leur marge de liberté dans plusieurs domaines.
Nous dénonçons le laxisme qui permet à des professeurs et professeures, qui représentent normalement des modèles à suivre pour leurs jeunes élèves, d’afficher des signes religieux ostentatoires dans le cadre de leur fonction et de le faire tout particulièrement dans les écoles publiques, alors que ces dernières sont dûment déconfessionnalisées depuis 1997 et soumises à une obligation légale de neutralité religieuse en vertu des Chartes.
Nous dénonçons la complaisance des institutions publiques en ce qui concerne la protection des petites filles et des adolescentes victimes de violences, justifiées par la culture ou les convictions religieuses de leurs familles.
Nous demandons…
Nous demandons à nos gouvernements de respecter leurs engagements au titre de la CEDEF et à nos tribunaux de tenir compte de ces engagements dans leurs décisions.
Nous demandons au gouvernement d’adopter, dans les meilleurs délais, une Charte de la laïcité, seule garante d’une société démocratique où l’égalité des sexes n’est pas négociable.
Nous demandons au gouvernement de donner des instructions claires aux administrateurs des institutions éducatives afin de mieux protéger les droits des petites filles et des adolescentes vulnérables qui relèvent de leur responsabilité.
Nous demandons à nos gouvernements de reconnaître la situation d’inégalité vécue par les femmes dans la prostitution et de réorienter leur action afin de criminaliser les proxénètes et les clients, sans pénaliser les femmes prostituées.
Nous souhaitons que les femmes et les hommes du Québec, indépendamment de leurs origines, continuent d’être fiers des politiques et des lois en faveur de l’égalité entre les sexes, et nous les appelons à rester vigilants afin de conserver ces acquis.
C’est pourquoi, nous, femmes et hommes du Québec, féministes et signataires de ce manifeste, estimons urgent et nécessaire de protéger concrètement les acquis de nos luttes féministes.
Rachida Ait Tahar, Mounjed Arnouk, Fatiha Attou, Élaine Audet, Fritz Axelsen, Daniel Baril, Djemila Benhabib, Nabila Ben Youssef, Micheline Carrier, Ferid Chikhi, Djahan Dardachti, Bernard Émond, Nadia Fahmy-Eid, Yolande Geadah, Jacques B. Gélinas, Pierrette Gratton, Jean-Claude Hébert, Alain Horic, Pierre Jasmin, Lucie Jobin, Guilda Kattan, Othmar Keel, Nabil Khiari, Ève Lamont, Gaston Larente, Bernard La Rivière, Leila Lesbet, Danièle Letocha, Louise Mailloux, Lucie Martineau, Nawal Meshaka, Léon Ouaknine, Nabila Oubouchou, Christiane Pelchat, Madeleine Poulin, Richard Poulin, Jocelyne Robert, Guy Rocher, Michèle Sirois, Daniel Turp, Andrée Yanacopoulo.
La liste complète des signataires est publiée sur le site de la Coalition Laïcité Québec, où il est possible de signer le manifeste.