La pornographie juvénile, un divertissement non coupable?

Dans la cause opposant la Couronne à John Robin Sharpe (photo), la Cour suprême a statué en 2001 qu’interdire la possession de matériel pornographique infantile ne brimait pas la liberté d’expression.
Photo: La Presse canadienne (photo) Chuck Stoody Dans la cause opposant la Couronne à John Robin Sharpe (photo), la Cour suprême a statué en 2001 qu’interdire la possession de matériel pornographique infantile ne brimait pas la liberté d’expression.

Le 27 février dernier, Tom Flanagan, professeur de sciences politiques à l’Université de Calgary, a affirmé que regarder des images de pornographie juvénile ne devrait pas être passible d’une peine d’emprisonnement, étant donné que cela « ne fait de mal à personne ». Les propos controversés de M. Flanagan ont été publiés sur YouTube dès le lendemain matin.

La vidéo a été mise en ligne à la suite d’une conférence qu’il a donnée à l’Université de Calgary. Lors de la conférence, un homme lui a demandé sa position sur la pornographie juvénile. M. Flanagan a alors répondu qu’il ne ressentait aucune sympathie pour ceux qui faisaient du mal aux enfants, mais qu’il remettait en question l’emprisonnement de « gens qui ne font que regarder des photos ». M. Flanagan a ajouté : « C’est une vraie question de liberté personnelle, et jusqu’à quel point nous mettons des gens en prison pour avoir commis quelque chose qui ne nuit pas aux autres. »


Cela ne pourrait être plus faux. La pornographie juvénile est un crime contre les droits des enfants en vertu du droit international et du droit canadien. Pédopornographie, pédophilie, pornographie infantile, pornographie juvénile, pornographie pseudo-infantile, pornographie imitative, pornographie virtuelle, pornographie et sévices sexuels en ligne, érotisme mettant en scène des enfants : tous ces termes renvoient au même phénomène, soit la pornographie mettant en scène des enfants.


Un enfant est défini comme toute personne âgée de moins de 18 ans, conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Canada en 1991, et à son Protocole concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Cent trente et un États ont ratifié ce protocole, dont le Canada, et à ce titre, ils ont la responsabilité de mettre tous les moyens en oeuvre pour empêcher la production, la distribution et la diffusion de matériel pornographique mettant en scène des enfants.


Exploitation sexuelle


La pornographie mettant en scène des enfants est une des formes de l’exploitation sexuelle des enfants. Cela implique l’utilisation d’un ou de plusieurs enfants, dans la mise en scène, réelle ou simulée, d’actes sexuels explicites ou implicites, ou révélant certaines parties du corps de façon obscène pour que l’image suscite une stimulation ou un plaisir sexuel. Des enfants de tous âges, y compris des bébés, sont utilisés à des fins pornographiques dans le monde. Aucun enfant ne peut consentir à participer à sa propre exploitation.


Les conséquences sur l’enfant sont innombrables et s’étendent à court, moyen et long terme. En effet, la pornographie juvénile a de graves impacts sur le développement physique et psychologique de l’enfant, sur son développement cognitif, son sens moral (discerner le bien du mal) et son développement social.


L’agression sexuelle d’un enfant constitue un traumatisme. Qui plus est, l’enfant aura été contraint de simuler le plaisir pour l’enregistrement. En plus de subir ce traumatisme, l’enfant vit souvent avec un profond sentiment de honte.


Au-delà des sévices commis, la circulation des images constitue un traumatisme supplémentaire. Ces images sont diffusées sur Internet, et regardées par des milliers de gens. Elles ne disparaîtront jamais. La victime devra constamment surmonter la honte que l’acte et son enregistrement entraînent. La circulation des images constitue une violation constante du droit de l’enfant à la vie privée, et a un impact négatif sur sa capacité à guérir, même si les sévices sexuels ont pris fin. La crainte que ces images ressurgissent à un moment futur de sa vie est aussi bien réelle.


Il est estimé que 200 nouvelles images de pornographie mettant en scène des enfants sont mises en circulation chaque jour dans le monde.


Même si un consommateur de pornographie juvénile n’est pas forcément un agresseur d’enfants, les statistiques ont montré que la plupart des prédateurs arrêtés pour violences sexuelles envers les enfants possédaient du matériel pédopornographique.


Liberté d’expression : la Cour a déjà statué


Qui plus est, l’argument avancé par Tom Flanagan sur la liberté d’expression est lui aussi réfutable. En 2001, dans le cas de Sa Majesté la Reine contre Sharpe, la Cour suprême a confirmé la validité de l’article 163 du Code criminel (1985). Dans cette affaire, John Robin Sharpe, un homme de Colombie-Britannique faisant l’objet de deux chefs d’accusation de possession de pornographie juvénile, et de deux autres pour possession en vue de la distribution ou de la vente, contestait la constitutionnalité de la loi, affirmant que cela brimait son droit à la liberté d’expression.


La Cour suprême a statué et a confirmé la validité de cette loi. Il est effectivement interdit de posséder du matériel pornographique infantile, sauf dans deux cas précis : lorsque le matériel expressif (lire artistique) a été réalisé par et pour soi-même ou lorsque les enregistrements du même type ne mettent évidemment pas en scène des actes ou des comportements jugés répréhensibles par la loi. Il reste encore beaucoup à faire pour protéger les droits des enfants…

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Nadja Pollaert - Directrice générale, Bureau international des droits des enfants

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