La réplique › L’homme de Calder - Un sens historique à relativiser

De nombreuses voix se sont récemment élevées pour dénoncer le projet de déplacer le Calder hors de l’île Sainte-Hélène. Pour éclairer ce débat, il est important de situer cette oeuvre monumentale et unique, une des plus grandes sculptures du XXe siècle, la plus importante pièce d’art public à Montréal, relativement à l’Expo 67 et son site actuel à l’île Sainte-Hélène.


À l’origine, en 1964, la sculpture, qui n’existait que comme croquis dans les cartons de Calder, s’appelait Trois disques. Elle appartenait à une série de stabiles que Calder développait à cette époque : Deux disques, Cinq disques, Trois disques, un manquant, Cinq disques, un vide, et Trois Disques. Les stabiles de Calder de cette époque ont d’abord existé sous forme de croquis, puis de maquettes. La sculpture n’était construite que lorsqu’un acheteur se pointait. En 1966, la société minière canadienne INCO l’approcha pour construire une sculpture monumentale pour la place d’accueil de l’Expo 1967. L’artiste leur proposa alors Trois disques. Pour mettre en valeur le nickel canadien qu’elle produisait, INCO proposa à Calder de construire le stabile en acier inoxydable, au lieu d’un fer peint qu’utilisait usuellement ce dernier, ce qu’il accepta.

 

Un nouveau nom


De plus, à la demande d’INCO, Trois disques fut rebaptisé L’homme/Man, en référence au thème de l’Expo, Terre des Hommes. Calder ne s’en offusqua pas, laissant souvent à ses clients le soin de renommer ses oeuvres, quoique dans ses écrits, il continua d’appeler l’oeuvre L’homme/Trois disques. Les conseillers en marketing de L’Expo saluèrent aussi la ressemblance du stabile avec une forme humaine, un homme ! Mais cette association anthropologique est fictive : dans sa série des disques, Calder n’était intéressé que par l’exploration des formes géométriques et n’avait aucune velléité de reproduire des formes humaines.


Le Calder fut érigé sur la place d’INCO, près de l’entrée principale du site de l’Expo, au pied du débarcadère de l’Expo-Express, le métro de surface qui desservait le site. Le Calder accueillait les visiteurs lorsqu’ils arrivaient sur le site. Après la fermeture de Terre des Hommes en 1972, et la démolition de la plupart des pavillons, le Calder se retrouva orphelin, au milieu d’un espace en friche. Pendant près de vingt ans, la plus grande sculpture du XXe siècle fut laissée à l’abandon le long de l’autoroute bâtie sur l’empiétement de l’Expo-Express pour se rendre à l’île Notre-Dame et au circuit Gilles-Villeneuve.


Un très mauvais site


En 1989, la famille Calder s’est plainte formellement au maire de Montréal de l’état d’abandon du site, joignant sa voix à beaucoup d’autres qui voulaient une mise en valeur de l’oeuvre. Quelques années plus tard, un nouveau site fut choisi, de l’autre côté de l’île Sainte-Hélène, à un kilomètre du site original. Le site n’avait rien de spécial, sauf que le déménagement ne coûtait pas cher et que le nouveau site était visible du balcon de la mairie. Le maire de Montréal pourrait dorénavant fièrement montrer à ses visiteurs, à l’horizon, le célèbre Calder, rendu toutefois minuscule de cette distance.


En fait, tel qu’aménagé, le site est très mauvais : difficile d’accès, entouré d’arbres dominant le Calder et peu fréquenté, sauf en juillet et août. Mais les stabiles de Calder sont conçus, comme le fut L’homme, pour « trôner » au centre de places publiques achalandées. Sur ce site, le Calder est aussi trop loin pour être observé du Vieux-Port, et d’ailleurs, n’est visible que de l’est de la place Jacques-Cartier, la partie la moins fréquentée du Vieux-Port.


Le Calder n’est pas non plus le symbole de l’Expo 67. Ce titre, il appartient au dôme de Buckminster Fuller, nommé aujourd’hui la Biosphère, qui dépasse fièrement, de ses 63 mètres, les arbres de l’île et est visible à des kilomètres à la ronde. C’est aussi une très grande oeuvre architecturale, du même calibre que le Calder, et malheureusement encore plus abandonnée des Montréalais que cette dernière. Le Calder n’est même pas le deuxième symbole de l’Expo, ce rôle étant tenu par Habitat 67, et à un degré moindre par le Casino et par les canaux de l’île Notre-Dame. Le Calder ne fait revivre l’Expo 1967 que dans le débat sur son emplacement.


On les retrouve à Chicago, Paris, Mexico, Berlin, Bruxelles, Grenoble, sur de grandes places ; des objets de fierté civique. (Beaucoup ont d’ailleurs été déplacés, pour les mettre en valeur.) À Washington, le Calder est au coeur du Mall, le parc emblématique des Américains. Mais Montréal, qui a le plus grand et le plus beau Calder, le cache sous les arbres de l’île Sainte-Hélène, difficile d’accès, et marqué de graffitis. La fierté, on connaît cela !


Le Calder pourrait être déplacé à plusieurs endroits. Si nous voulons absolument conserver le lien physique avec l’Expo, on pourrait l’installer sur la pointe du Havre, ou encore, pour le rendre plus accessible, sur le Vieux-Port, près du Musée Pointe-à-Callières, vis-à-vis Habitat 67. Si nous voulons véritablement le mettre en valeur, nous pourrions l’associer à ce qui est le plus grand symbole de Montréal, le mont Royal, en le déplaçant au carrefour de l’avenue des Pins et de l’avenue du Parc, face au parc Jeanne-Mance. Par les perspectives que cette localisation offre, et par son association avec la montagne, le Calder pourrait devenir l’une des signatures de Montréal.


Quel que soit le site retenu, il serait important qu’il soit mis en valeur, qu’il soit accessible, et qu’il fasse partie de notre quotidien. Calder n’en aurait pas demandé moins ! On peut d’ailleurs voir sur le site www.mettreenvaleurlecalder.com une étude détaillée de la question.

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Marcel Côté - Économiste et Sarah McCutcheon Greiche - Historienne d’art

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