Le déplacement de L’homme de Calder: encore?

L’œuvre a déjà quitté son lieu d’origine pour être installée sur un belvédère surplombant le fleuve.
Photo: Pedro Ruiz - Le Devoir L’œuvre a déjà quitté son lieu d’origine pour être installée sur un belvédère surplombant le fleuve.

La mission que s’est donnée Alexandre Taillefer, président du comité-conseil en art public à la Ville de Montréal, soit délocaliser la sculpture L’homme de Calder, fait revivre un débat déjà abordé en art public, il y a quelques années, avec le déplacement de La joute de Riopelle d’Hochelaga-Maisonneuve vers le quartier des affaires. Elle nous questionne sur l’importance de la mise en valeur de l’art public à Montréal.


Depuis la fin des années 1980, les efforts consacrés à la sauvegarde de l’ensemble des oeuvres de la collection municipale de Montréal ont permis de développer une réflexion globale sur les problématiques de conservation de l’art public et de tester des traitements, des approches, des modes de collaboration interdisciplinaires et des stratégies de communication entre les oeuvres, leur environnement et le public.


Depuis son implantation en 1989, le Bureau d’art public a mené plusieurs projets de conservation et de restauration. Le déplacement d’oeuvres, pour des raisons de conservation et de mise en valeur, constitue un problème délicat. Il s’est posé en 1991 lors de la première restauration de L’homme, ce grand stabile en acier inoxydable, et encore aujourd’hui, ce scénario est remis de l’avant.


Pour Expo 67


Délocaliser la sculpture de son contexte physique et artistique des années soixante et l’installer dans une place moderne entraîne des « pertes » à plusieurs égards.


Il faut tenir compte du fait que l’oeuvre de Calder fut construite pour un événement bien précis, l’Expo 67. Bien qu’« abstraite », puisqu’aucun élément formel, mis à part son lieu, ne renvoie à l’Expo, elle est indissociable de cet événement. En étant déplacée, la sculpture subira un décalage temporel et esthétique avec son nouvel environnement. Elle perdra le caractère propre de sa production.


De plus, il faut se rappeler que lors de la première intervention de conservation, l’immense stabile a déjà quitté son lieu d’origine, devenu désuet faute d’entretien, pour être installé sur un belvédère surplombant le Saint-Laurent. Pour ce projet de conservation, les experts proposèrent trois scénarios de mise en valeur du site et de l’oeuvre : l’oeuvre devait soit rester en place, soit être déplacée sur un autre site de l’île Sainte-Hélène, ou encore être déplacée hors de l’île.


En déplaçant l’oeuvre de son site laissé à l’abandon, les autorités ont opté pour un endroit qui recréait les caractéristiques formelles de l’ancien lieu et qui met la sculpture en évidence pour que le public puisse se la réapproprier plus facilement. Étant ainsi plus accessible, le public est plus apte à découvrir ou à redécouvrir et à expérimenter l’oeuvre artistique. Par exemple, une communauté de « piknikeurs électroniques » s’est créée, depuis 2003, autour de la sculpture.


Économiquement, le déplacement d’une oeuvre entraîne des coûts auxquels il faut ajouter les frais de mise en valeur de l’oeuvre. Le déplacement ne pourra pas se faire sans l’intervention d’une panoplie d’intervenants de différents milieux : conservateurs, restaurateurs, architecte de paysage, ingénieur, artisan, fabricant, qui eux aussi engendreront des coûts supplémentaires. Cet argent ne serait-il pas mieux investi dans un projet d’art public imaginé en fonction du nouveau lieu ?


Le regain d’attention que suscite l’oeuvre de Calder nous rappelle la controverse entourant la délocalisation de la sculpture de Jean-Paul Riopelle La joute. Ces deux cas démontrent l’importance de réfléchir sur la place faite à l’art public actuellement au Québec. Sans le statut d’objet patrimonial, on oublie trop souvent qu’il reflète une certaine histoire artistique du Québec.

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Marie-Claude Langevin - Chercheuse, M. A. en étude des arts à l’Université du Québec à Montréal, auteure d’un mémoire portant sur le déplacement et la mise en valeur de sculptures contemporaines d’art public (dont L’homme et La joute)

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