Sous-financement universitaire - Les chiffres sont disponibles, M. le ministre
Selon ce que rapporte Le Devoir du 20 octobre dernier, le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Pierre Duchesne, demande qu’on lui montre les chiffres prouvant le sous-financement des universités. « Ce n’est pas parce qu’on a répété la chose pendant des années que c’est un fait accompli », affirme-t-il.
Je suis un de ceux qui répètent, haut et fort et depuis près de vingt ans, que les universités québécoises sont sous-financées. Et si nous le répétons depuis si longtemps et avec autant de conviction, c’est parce que nous avons des études sérieuses pour appuyer nos dires et une expérience quotidienne de la réalité universitaire pour confirmer les effets néfastes du sous-financement. Le ministre n’a probablement pas eu le temps de se familiariser avec le dossier. Je me permets donc de lui en exposer les tenants et aboutissants.
C’est au milieu des années 90, au moment où le gouvernement fédéral procède à une réduction importante des paiements de transfert aux provinces, qu’on commence à observer le sous-financement des universités québécoises par rapport à celles du reste du Canada. À l’époque, Ottawa cherchait à réduire un déficit budgétaire qui devenait insupportable.
Québec a été alors contraint de réduire le financement de ses programmes, dont celui de l’enseignement supérieur. Dans la dernière moitié des années 90, les revenus des universités québécoises ont chuté de 25 %.
La réduction des paiements de transfert a touché l’ensemble des universités canadiennes. Mais dans les autres provinces, les gouvernements, au lieu de reporter mécaniquement cette réduction sur les subventions aux universités, ont réagi en autorisant des hausses répétées des droits de scolarité. Conséquence : la part des droits de scolarité dans le financement des établissements a augmenté pour atteindre 31 % des revenus de fonctionnement, palliant ainsi partiellement les effets de la baisse du financement public.
Pendant ce temps, au Québec, cette part stagnait à 16 %, en raison du gel des droits de scolarité. De là l’écart de financement, qui ne fit que s’accroître par la suite.
Un pas dans la bonne direction
En 2000, la situation devient si préoccupante que le gouvernement péquiste et le ministre de l’Éducation de l’époque, François Legault, décident d’accroître le financement annuel des universités de 300 millions de dollars. C’est un pas dans la bonne direction, mais qui ne résout que partiellement le problème. Pour aller au fond des choses et évaluer la situation de manière précise, on crée un comité mixte CREPUQ-Ministère de l’Éducation.
Je me souviens très bien du travail, sérieux et solidement documenté, accompli par ce comité puisque je présidais la Conférence des recteurs et des principaux d’universités du Québec (CREPUQ) à cette époque. Les résultats, rendus publics en janvier 2003, ne firent que confirmer ce que les universités constataient tous les jours : le sous-financement des coûts de fonctionnement des universités québécoises s’élevait à 322 millions de dollars annuellement, malgré le récent réinvestissement de 300 millions.
Retour à la case départ
Depuis, la situation n’a fait que se dégrader. Et les études se sont multipliées, qui confirment toute la réalité du sous-financement universitaire au Québec. Au printemps, le Conseil des universités de l’Ontario a produit un rapport qui démontre que l’Ontario se situe à l’avant-dernier rang des provinces canadiennes au chapitre du financement universitaire. Qui arrive bon dernier ? Le Québec.
En novembre 2010, la CREPUQ mettait à jour l’étude menée conjointement avec le ministère de l’Éducation en 2003. La conclusion : le sous-financement annuel des universités québécoises s’élève au minimum à 620 millions de dollars.
Bref, nous sommes revenus à la case départ, au moment où la société québécoise peut moins que jamais dans son histoire se permettre d’avoir des universités à la traîne par rapport à celles du reste de l’Amérique du Nord. C’est pourquoi d’ailleurs le précédent gouvernement avait mis en place un plan de refinancement important des universités.
Les universités, de victimes à coupables
La question du sous-financement des universités est documentée par de nombreuses études et constatée par l’ensemble de la communauté universitaire, y compris par les étudiants. Elle fait aujourd’hui consensus dans notre société. Le débat porte non pas sur le problème lui-même, mais bien sur les moyens de le résoudre.
Or, le récent conflit étudiant est venu changer les termes du débat. Motivées au départ par le refus d’une hausse des droits de scolarité, les manifestations ont débordé lentement vers la remise en question du sous-financement lui-même. Sous-financées, les universités ? Allons donc ! Mal financées, peut-être, mal administrées, sûrement. Telle est la position, teintée de populisme, qui a dominé le débat public ces derniers mois. Sans parler des considérations irresponsables sur la trop grande place de la recherche - alors que nos étudiants au doctorat, qui profitent grandement des activités de recherche, comptent pour 32 % du total canadien !
Je peux comprendre que des leaders étudiants tentent de combattre par tous les moyens une hausse des droits de scolarité en niant même la nécessité d’un réinvestissement dans les universités. Je m’explique moins bien que le ministre responsable de l’enseignement supérieur sème le doute sur la légitimité des demandes des universités. À la lumière de ses propos, les universités auront sans doute de la difficulté à voir dans le prochain sommet sur l’éducation autre chose qu’un piège conçu à seules fins de légitimer le gel des droits de scolarité.
On ne résout pas un problème en niant son existence. Et le problème du sous-financement universitaire est une réalité, aggravée par l’état des finances publiques et l’impossibilité pour Québec d’augmenter les subventions de fonctionnement. On peut toujours se bercer d’illusions en accusant les universités d’être les artisans de leur propre malheur. Mais la réalité demeure : nos universités sont d’abord victimes d’un déficit criant de ressources.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.