Autochtones, droits de scolarité et Plan Nord - Peuples invisibles... à l'université

Dans le contexte du Plan Nord, les universités québécoises bataillent pour une part du gâteau en se targuant de posséder une expertise en études autochtones et de donner des «services» de qualité à cette «clientèle». Ce sera peine perdue si les principaux intéressés ne peuvent plus se permettre de fréquenter l’université...
Photo: - Le Devoir Dans le contexte du Plan Nord, les universités québécoises bataillent pour une part du gâteau en se targuant de posséder une expertise en études autochtones et de donner des «services» de qualité à cette «clientèle». Ce sera peine perdue si les principaux intéressés ne peuvent plus se permettre de fréquenter l’université...

Le débat qui fait rage présentement au sujet de l'augmentation de 75 % des droits de scolarité dans les universités québécoises occulte un enjeu important: l'accessibilité des autochtones aux études universitaires.

Les données du recensement de 2006 de Statistique Canada révèlent que la proportion de détenteurs de diplômes universitaires est trois fois plus faible chez les autochtones (8 %) que dans le reste de la population (23 %). Il semble donc que, à l'université comme ailleurs, les autochtones forment des «peuples invisibles», pour emprunter l'expression de Richard Desjardins et de Robert Monderie. Or, selon une étude publiée en 2009 par le Centre d'étude des niveaux de vie, combler l'écart entre les niveaux de scolarité des autochtones et des non-autochtones permettrait d'injecter 179 milliards de dollars de plus au PIB canadien sur une période de 20 ans. Il semble donc que tout le monde y trouverait son compte.

Le Programme fédéral d'aide aux étudiants (autochtones) de niveau postsecondaire a été mis en place dans les années 1960 pour faciliter l'accès aux études postsecondaires en octroyant un soutien financier, notamment pour payer les droits de scolarité, les livres, le matériel, les déplacements et les frais de subsistance. Jusqu'en 1992, le financement du programme était calculé en fonction du nombre d'étudiants admissibles et de la somme de leurs dépenses prévues. En 1992, le gouvernement fédéral a remplacé le modèle de financement basé sur les coûts réels par une enveloppe globale. Avec cette manière de fonctionner, chaque communauté autochtone reçoit un montant annuel et doit fixer des critères pour l'allocation de bourses en fonction de l'enveloppe disponible et non en fonction du nombre de demandes.

Contexte déjà défavorable


De plus, l'augmentation de l'enveloppe globale est plafonnée à 2 % par année depuis 1996, et ce, sans égard à l'augmentation des coûts, ni à l'accroissement de la population autochtone. Depuis la mise en place de ce plafond, le nombre d'étudiants autochtones recevant du financement a chuté de 20 % au Canada. Présentement, la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants estime que le tiers des 60 000 étudiants autochtones admissibles au programme ne reçoit pas de subvention.

Selon le Conseil en éducation des Premières Nations, le gouvernement fédéral continue à ignorer le sous-financement de l'éducation postsecondaire des autochtones, et ce, malgré la recommandation de déplafonnement faite en 2007 par le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes dans un rapport intitulé Une priorité absolue: l'éducation postsecondaire des autochtones au Canada.

Pour les autochtones du Québec, la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement Charest s'ajoute à ce contexte déjà défavorable. Ce feu croisé fédéral-provincial n'aidera en rien à réduire l'écart entre autochtones et non autochtones en matière de diplomation universitaire et contribuera à perpétuer les torts causés par des décennies de politiques discriminatoires. C'est d'autant plus dramatique que la population autochtone est en plein boom démographique.

Les données du recensement montrent que la population autochtone du Québec a augmenté de 39,4 % entre 2001 et 2006, comparativement à 4 % d'augmentation pour la population non autochtone. Les mêmes données révèlent en outre que 42 % de la population autochtone du Québec avait moins de 25 ans en 2006, comparativement à 29 % de la population non autochtone.

Besoin de main-d'oeuvre

Comparativement aux étudiants non autochtones, les étudiants universitaires autochtones sont généralement plus âgés, plus susceptibles d'avoir des personnes à charge, et ont par conséquent des dépenses plus élevées. Les conditions socioéconomiques qui prévalent souvent dans les communautés autochtones (chômage endémique, emplois précaires et mal rémunérés, etc.) font que peu d'étudiants universitaires autochtones peuvent compter sur le soutien familial pour les aider à payer leurs études. En effet, alors que le Canada a toujours figuré parmi les dix premières places du palmarès de l'indice de développement humain de l'ONU, le pays dégringolerait de plus d'une cinquantaine de places si on ne tenait compte que de sa population autochtone.

L'Association des universités et collèges du Canada estime que plus de 460 000 jeunes autochtones de moins de 20 ans accéderont au marché du travail au cours des deux prochaines décennies, au moment où des milliers de baby-boomers prendront leur retraite. Plus ces jeunes seront qualifiés, meilleure sera leur contribution. Le Québec, autant que le Canada, a besoin de ces jeunes s'il veut maintenir son niveau de développement. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne le Plan Nord, qui fait déjà face à une importante pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

D'ailleurs, dans le contexte du Plan Nord, les universités québécoises bataillent pour une (encore hypothétique) part du gâteau en se targuant de posséder une expertise en études autochtones et de donner des «services» de qualité à cette «clientèle». Ce sera peine perdue si les principaux intéressés ne peuvent plus se permettre de fréquenter l'université... Les peuples autochtones resteront invisibles si personne n'en parle.

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Hugo Asselin, Professeur à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en foresterie autochtone et Suzy Basile, Étudiante au doctorat en sciences de l'environnement à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et membre de la communauté atikamekw de Wemotaci

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