Revitalisation du patrimoine - Sauvons le boulevard Saint-Laurent!

Le boulevard Saint-Laurent est un élément incontournable de l’identité montréalaise.
Photo: Société de développement Angus Le boulevard Saint-Laurent est un élément incontournable de l’identité montréalaise.

Il y a péril en la demeure! Mardi soir, le maire Gérald Tremblay annonçait que la démolition de la remarquable enfilade de bâtiments patrimoniaux près du Monument-National sur le boulevard Saint-Laurent débutera le 9 avril. Sans préciser quel serait le sort des pierres ou des façades qui, numérotées avec soin, échapperaient éventuellement au concasseur, le maire confirmait qu'aucun projet de construction n'était à l'étude pour ce site qui deviendra ainsi un nouveau trou béant dans le tissu urbain montréalais.

Ces bâtiments patrimoniaux que la Ville ordonne de démolir sont entièrement situés dans l'aire de protection du Monument-National, un bien culturel classé et donc sous l'autorité et la protection des lois du Québec et de la ministre québécoise de la Culture, Christine St-Pierre. Les autorités montréalaises ont donc dû demander l'autorisation de démolir à la ministre en invoquant l'urgence au nom de la sécurité du public. La ministre a accordé cette autorisation à l'administration municipale avec certaines exigences administratives, comme la production de plans et devis pour numéroter, déposer et entreposer certaines pierres ou façades patrimoniales, mais sans la moindre exigence quant à leur reconstruction dans un futur projet immobilier.

Élément incontournable


Pourtant, ces bâtiments et ce lieu ne sont pas insignifiants. Grand méridien de Montréal, le boulevard Saint-Laurent est un élément aussi incontournable de l'identité montréalaise que le Vieux-Montréal, le mont Royal ou les quartiers. Malgré sa condition inégale, sa fragmentation administrative et ses importants besoins de vue d'ensemble et de revitalisation, il a su échapper aux visées des constructeurs d'autoroutes surélevées des années 1950 puis aux démolisseurs de toutes sortes. Il y a 30 ans, la Ville de Montréal envisageait même de demander au gouvernement du Québec de le classer «arrondissement historique», une idée que le gouvernement canadien a concrétisée en 1996 en lui attribuant une telle désignation, mais à titre honorifique et sans effet réel de protection.

Entre la rue Viger et l'avenue des Pins, l'ensemble architectural en pierre grise du boulevard Saint-Laurent constitue le legs d'une grande vision de développement de la métropole marquée par une affirmation de la présence francophone à la fin du XIXe siècle. C'est à cette époque qu'on bâtit le Monument-National, édifice exceptionnel réalisé par souscription publique, «un lieu sacré où les beaux-arts se seront unis pour exalter les épisodes sublimes de notre histoire et pour rappeler à ceux qui suivront les traits aimés des défenseurs de nos droits» (Le Monde illustré, 4 octobre 1890) qu'on voyait relié à un opéra rue Saint-Denis.

Le boulevard et le Monument-National présageaient ainsi du Quartier des spectacles actuel, réalisé de nos jours grâce aux investissements massifs d'argent public pour réparer les plaies urbaines et les démolitions des années 1970 et produire des aménagements dont Montréal s'enorgueillit justement aujourd'hui.

Anachronisme inexplicable

Nous sommes maintenant à l'ère du développement durable et de l'Agenda 21 pour la culture, de Montréal ville UNESCO de design et métropole culturelle. 2012 est l'année d'entrée en vigueur de la nouvelle loi québécoise sur le patrimoine culturel, adoptée à l'unanimité de l'Assemblée nationale, et des consultations sur le futur Plan de développement de Montréal où la culture et le patrimoine devront avoir droit de cité.

À plus petite échelle, 2012 est aussi l'année de la revitalisation de bâtiments et de sites patrimoniaux — par exemple, l'édifice longtemps abandonné à l'angle du boulevard Saint-Laurent et de l'avenue des Pins, restauré grâce à la détermination des élus — et de démarches sérieuses et chargées d'espoirs, comme celles menées par les nouveaux propriétaires du silo 5 ou de la maison Lafontaine.

C'est donc dire à quel point, en 2012, la démolition massive et concertée des bâtiments patrimoniaux du boulevard Saint-Laurent est un anachronisme inexplicable et un retour inacceptable à une époque si néfaste au coeur de la métropole. Le fait que cette démolition ait été entièrement orchestrée entre cabinets politiques, fonctionnaires et promoteur en invoquant l'urgence et la sécurité du public, et sans consultation préalable de la population par la Commission des biens culturels du Québec ou le Conseil du patrimoine de Montréal, est aussi un recul démocratique dont on a toutes les raisons de s'inquiéter.

Renverser la vapeur


En leur offrant toute notre collaboration à cette fin, nous demandons donc à la ministre de la Culture et à la Ville de Montréal de renverser la vapeur pour s'engager fermement à maintenir la continuité et le patrimoine du boulevard Saint-Laurent et des abords du Monument-National, et, plus spécifiquement:

-de suspendre l'exécution de tout ordre ou autorisation de démolir les bâtiments ou façades d'intérêt patrimonial sur l'îlot du Monument-National;

-d'exiger la consolidation de ces bâtiments ou façades d'intérêt patrimonial pour assurer la sécurité du public comme cela fut exigé d'autres propriétaires et veiller à la qualité des travaux à cet effet;

-d'établir une servitude notariée pour assurer le maintien des bâtiments ou des façades d'intérêt patrimonial sur cet îlot;

-de mandater la Commission des biens culturels du Québec et le Conseil du patrimoine de Montréal pour qu'ils consultent la population sur les avenues de conservation et de revitalisation de cet ensemble patrimonial.

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