«Frapper» son Waterloo

L'Association des étudiants en ethnologie et patrimoine de l'Université Laval (AEEPUL) regroupe moins de vingt étudiants de premier cycle. Alors que les grandes associations qui se sont prononcées contre la hausse des droits de scolarité multiplient les actions pour exprimer leurs idées, celle-ci remue ciel et terre pour trouver les 500 dollars qui l'aideraient à organiser un voyage à Waterloo, en Ontario, à la réunion annuelle de mai de l'Association canadienne d'ethnologie et de folklore (ACEF).

Cette dernière a accepté de leur réserver une partie de leur maigre budget pour les aider à payer le transport. Il s'agit d'une occasion unique pour les étudiants: ils rencontreront les plus grands spécialistes canadiens de leur discipline, ils élargiront leurs horizons disciplinaires et professionnels et ils feront une escapade de cinq jours qui leur permettra de mieux se connaître. Or, voilà, un tel voyage est plutôt onéreux si on calcule les frais d'inscriptions, les repas, les nuits à l'hôtel, etc.

Malheureusement, le directeur du département juge que leur projet «ne correspond à aucun élément de la politique d'aide financière du département» et la CADEUL, censée représenter «tous les étudiants inscrits au premier cycle à l'Université Laval», trouve leur projet irrecevable «étant donné le peu d'étudiants touchés». S'ils veulent financer leur activité sociale et académique, ils n'ont qu'à faire du porte-à-porte pour vendre du chocolat...

Cours en ligne

Pourtant, lorsqu'on regarde de plus près le projet de l'AEEPUL, on se rend compte qu'il répond à un problème qui outrepasse l'objectif du voyage lui-même. Le programme de premier cycle en ethnologie et patrimoine, prenant le relais des études de folklore implantées à l'Université Laval dès 1944, n'attire que très peu d'étudiants. Pour rentabiliser le programme, le département a décidé de transformer tous les cours de base en cours en ligne.

Cette décision a été applaudie: ces cours, qui ne peuvent être piquetés, attirent de nouveaux clients qui souhaitent se joindre au milieu universitaire tout en restant dans le confort de leur maison. Le contenu reste à l'université et le département peut se contenter d'engager à moindre coût des étudiants de doctorat, voire de maîtrise, pour corriger les exercices. Mais pour les étudiants qui souhaitent suivre une formation complète, ces cours les obligent surtout à s'isoler d'un environnement intellectuel qui est central dans l'apprentissage d'une discipline fondamentale. Un voyage à Waterloo permettait en quelque sorte de rattraper cette année perdue pour mieux préparer les bacheliers à affronter l'épreuve de la maîtrise.

Survie d'une discipline

Quand on saisit cet enjeu, on se rend compte que l'AEEPUL s'attaque, avec un simple voyage, directement au sous-financement des universités et à la marchandisation de l'enseignement. Ces étudiants ne bloquent aucune route, n'inventent aucun slogan assassin, n'accusent personne dans les médias et n'affrontent aucun policier. Ils ne font que quémander un peu d'aide, car ils sentent vraiment les effets de l'étau qui se resserre sur leur discipline.

Il ne s'agit pas d'une question de principes ou d'idéaux; c'est la survie de leur discipline qui est menacée. Ils se prononceront le 12 mars pour ou contre la hausse, pour ou contre la grève. Ils doivent se demander si la hausse sauvera leur programme à l'agonie en regarnissant les coffres de leur département ou si elle l'achèvera définitivement en dissuadant les étudiants de s'y inscrire à un tel prix. Pourtant, tout ce qu'ils voulaient, c'est aller à Waterloo.

***

Jocelyn Gadbois - Québec

À voir en vidéo