Boussole républicaine: plein sud

En une semaine, le décor vient de changer radicalement pour les candidats à l'investiture républicaine, tant en raison des résultats des caucus de l'Iowa que du profil de l'État du New Hampshire, qui tient la première primaire du cycle électoral présidentiel en 2012. L'État de granite n'est plus le point de passage obligé sur le chemin de la Maison-Blanche. En effet, si, avant 1992, il était nécessaire de le gagner pour obtenir la nomination de son parti, ce n'est plus le cas: Bill Clinton, George W. Bush en 2000, Barack Obama en 2008 n'ont pas remporté le New Hampshire mais ont obtenu l'investiture. Par contre, tous ceux qui ont remporté simultanément l'Iowa et le New Hampshire ont été intronisés par leur convention nationale. C'est pour cela que le New Hampshire est encore considéré tour à tour comme le tremplin ou le cimetière des ambitions présidentielles.
Vivre libre ou mourirLe paysage politique est en effet tout à fait différent dans cet État, dont la devise est «Vivre libre ou mourir». Avec le New Hampshire, on passe de caucus fermés, où seuls les électeurs dûment affiliés pouvaient voter, à une primaire (quasi)ouverte où les indépendants peuvent se prononcer. Or ces derniers, libres de toute affiliation, représentent 40 % de l'électorat et supplantent largement les électeurs inscrits auprès de chacun des deux grands partis — et ce sont eux qui ont façonné la victoire de John McCain en 2008. La versatilité de l'électorat y sera grande puisque, selon le Public Policy Polling, 14 % des électeurs qui se sont prononcés dans la primaire démocrate en 2008 se déplaceront cette fois-ci pour la primaire républicaine. Ces électeurs, déçus d'Obama ou simplement non intéressés par la primaire démocrate (qui, malgré la présence de 14 candidats sur le bulletin démocrate, parmi lesquels David Richardson ou Randall Terry, est sans suspense), pourraient représenter plus de 10 % des suffrages exprimés côté républicain en 2008. En effet, alors que le taux de chômage au New Hampshire est très inférieur (5,2 %) à la moyenne nationale (8,6 %), seule une minorité approuve le travail du président en exercice (41 %). En outre, ils pourront être tentés par les candidatures de Ron Paul et Jon Huntsman. Tous deux (avec respectivement 19,8 % et 11,2 % des intentions de vote) figurent derrière Romney (à 39,8 %). Le premier promeut de véritables politiques sociales. Le second, malgré son passé assez conservateur comme gouverneur de l'Utah, est par exemple en faveur des unions civiles de même sexe et a obtenu le soutien du très renommé Boston Globe. Car le New Hampshire, longtemps bastion républicain, ne se reconnaît pas dans le glissement à droite du Parti républicain: le conservatisme fiscal y est traditionnel, le conservatisme social y est plus étranger. Dans le même temps, le court laps de temps entre les caucus et cette primaire n'a pas permis à Santorum (qui bénéficie quand même du rebond généré par les résultats de l'Iowa) d'opérer une campagne de financement conséquente et de mettre en place une structure efficace pour se positionner valablement.
Le sud dans la ligne de mire
Pour autant, un gagnant, aux primaires, n'est pas tant celui qui remporte la victoire, que celui qui fait mieux que ce qui était attendu. La véritable victoire n'est donc pas un gain arithmétique mais un succès perceptuel. C'est la raison pour laquelle Romney a en réalité remporté l'Iowa avec les honneurs (il était, deux mois avant les caucus, loin derrière Gingrich). Du coup, au New Hampshire, qu'il devrait gagner aisément, l'attention sera rivée sur ceux qui arriveront derrière lui, et surtout sur la distance les séparant de lui. Car, en réalité, c'est déjà vers le Sud que les regards sont tournés. Avec les primaires républicaines du 21 janvier en Caroline du Sud et du 31 en Floride, ce sont des poids lourds de l'électorat, en général, et de la base républicaine, en particulier, qui vont être sollicités. Très différente du New Hampshire, la Caroline du Sud est un État très religieux: 66 % vont à l'église régulièrement (ils sont 35 % au New Hampshire, 54 % au niveau national). À grande majorité protestante (74 %), noire (27,9 %, alors que la moyenne nationale est de 12,6 %), la Caroline du Sud a un taux de chômage (10 %) supérieur à la moyenne nationale. État très conservateur, elle n'est pourtant pas insensible à la dynamique du moment. La Floride, qui va clore le mois de janvier, présentera un autre panorama: il s'agit d'un État peuplé (le 5e dans l'Union), assez religieux (57 % de pratique régulière), ethniquement hétérogène, où l'impression que laissera celui qui remportera au final l'investiture sera déterminante au mois de novembre: la Floride représente dès aujourd'hui un double enjeu, car il s'agit d'un État-pivot de l'élection à l'automne.
Le reflet des divisions du Parti républicain
Les primaires ont ceci d'utile qu'elles permettent d'éliminer les candidats trop radicaux, ceux qu'on pourrait, par euphémisme, qualifier de trop fantaisistes, ceux qui ne sont pas présidentiables. Car, au cours des primaires et de ce cycle électoral en particulier, on ne parle pas que d'investiture. Comme l'a déclaré à plusieurs reprises Newt Gingrich, le vainqueur des primaires définira également le parti. Or le Grand Old Party est, depuis la déconfiture des néoconservateurs qui avaient en apparence phagocyté le parti, littéralement fracturé. Les trois factions traditionnelles se retrouvent désormais dans des candidats différents, comme en ont témoigné les résultats de l'Iowa: les conservateurs sociaux se sont reconnus dans le discours doctrinaire de Santorum, le Tea Party a trouvé un certain charme aux propos isolationnistes et constitutionnalistes de Ron Paul, tandis que les conservateurs classiques et l'establishment ont répondu à l'appel de Mitt Romney, le tout sur fond de glissement lexical de certains des candidats républicains dans les sables mouvants des distinctions raciales/racistes. Bien entendu, ces lignes de faille ne sont pas nouvelles, pas plus que les querelles intestines, qui, durant les primaires, donnent le sentiment que le parti se délite (pour preuve, la guerre fratricide entre Clinton et Obama en 2008). Cependant, le conservatisme du Sud, stimulé par les mouvements démographiques et porté par des tribuns reconnus, donne du poids à des idéologues comme Santorum et Paul et il oblige les candidats à faire du funambulisme électoral pour jongler avec les différentes franges, parfois antinomiques, du Parti républicain.
Or, selon le Pew Research Center, la base républicaine est plus radicale qu'elle ne l'a jamais été. Elle est également plus versatile, puisque 6 % des électeurs aux primaires républicaines pensent voter pour un tiers parti si leur candidat n'obtient pas l'investiture. Dès lors, plus les primaires seront longues, plus celui qui sera finalement investi en août aura eu l'occasion de commettre des gaffes, d'accumuler un bagage négatif qui pourrait le pénaliser durant la campagne générale. En ce sens, Romney joue fort bien ses atouts, puisqu'il concentre déjà ses attaques sur Obama, agissant comme s'il avait déjà été adoubé par la convention nationale du parti, laissant son Super PAC les mains dans le cambouis des publicités négatives et des manoeuvres électoralistes. Pourtant, la réunion, samedi prochain à Brenham (Texas), d'un groupe de leaders évangéliques, pour déterminer un consensus excluant (éventuellement) Mitt Romney, alimente les querelles. Ainsi, les primaires du Sud, si elles parviennent à trancher, pourraient permettre au Parti républicain de se doter d'une figure de proue derrière laquelle se regrouper. En ce sens, elles sont déterminantes.
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Élisabeth Vallet est professeure associée au Département de géographie de l'UQAM et publie en janvier un ouvrage sur les élections présidentielles américaines, à paraître chez Septentrion.
Charles-Philippe David est titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand et coprésident de l'Observatoire sur les États-Unis de l'UQAM.