Le Canada peut-il invoquer sa propre turpitude pour justifier sa dénonciation du Protocole de Kyoto?

La 17e Conférence des 194 parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques s'est achevée, le 11 décembre dernier, à Durban, en Afrique du Sud. Le Canada y a dénoncé le Protocole de Kyoto, conformément à la procédure prévue par l'article 27 du Protocole, qui permet à un pays de le faire par la transmission d'une notification écrite. Cela signifie qu'il n'est plus obligé de respecter son obligation internationale de réduire ses émissions de GES d'ici 2012. Cette notification prendra effet dans un an, en décembre 2012.
Que s'est-il donc passé pour que le Canada se retire du Protocole, alors que la dénonciation par un État d'un traité international est une chose relativement peu fréquente? Est-il vrai, comme l'a affirmé le ministre de l'Environnement du Canada, Peter Kent, que le Canada pouvait subir des sanctions de l'ordre de 14 milliards de dollars s'il demeurait juridiquement lié au Protocole de Kyoto?Obligations du Canada
Quelles étaient les obligations du Canada dans ce Protocole? Le Canada a probablement été surpris, le 16 février 2005, par son entrée en vigueur, alors que la Russie décidait — chose inespérée — de le ratifier. On sait que le Canada n'avait pas été proactif dans la mise en place des politiques et des mécanismes nécessaires au respect de l'engagement qu'il avait pris, en ratifiant le Protocole de Kyoto, de réduire de 6 %, avant la fin de 2012, les 591,79 mégatonnes d'équivalent en dioxyde de carbone qu'il émettait en 1990.
Tout comme les autres pays développés de l'annexe I qui avaient contracté l'obligation de réduire leurs émissions, le Canada pouvait, pour réduire ses émissions et respecter ses engagements internationaux, avoir recours à différents mécanismes, dont les deux suivants.
-L'adoption de politiques nationales pour réduire les émissions, par exemple par la taxation, la limitation du transport routier, un aménagement du territoire réduisant l'étalement urbain.
Les politiques nationales canadiennes ont été si timides qu'elles ont empêché les entreprises canadiennes de bénéficier de l'application des autres mécanismes, dont le mécanisme d'échange de droits d'émissions. Pourquoi? Parce que ces autres mécanismes devaient être utilisés en complément des politiques nationales et aussi parce que la possibilité d'utiliser ces autres mécanismes était liée à la mise en place d'un système national de comptabilisation du carbone, d'un registre national, pour la délivrance, le transfert et la suppression d'unités de réduction et à la communication des informations relatives.
-Un mécanisme d'échange de droits d'émissions.
Le Protocole de Kyoto prévoit l'échange international de droits d'émissions entre les pays industrialisés, en complément des mesures prises au niveau national pour réduire les émissions. Ainsi, un pays qui a atteint ses objectifs de dépollution et qui a «un manque à polluer» par rapport à son plafond ou à son quota peut vendre ses «droits de polluer» à un pays qui ne pourrait pas autrement remplir ses objectifs de réduction. Une autre façon de voir le problème consiste à dire qu'un pays qui ne pourra atteindre ses objectifs en matière de dépollution pourra acheter un permis de pollution excédentaire à un pays moins pollueur. Le Canada n'a pas mis en place les outils qui lui auraient permis d'utiliser ce mécanisme.
Sanctions possibles?
S'il ne respectait pas son obligation de réduire le niveau de ses émissions en 1990 de 6 % avant la fin de l'année 2012, le Canada pouvait-il encourir des sanctions? Plus particulièrement, l'affirmation du ministre Kent, selon laquelle le Canada pouvait encourir des «pénalités» de l'ordre de 14 milliards de dollars s'il ne dénonçait pas le Protocole de Kyoto, est-elle juridiquement fondée?
Lors des négociations du Protocole de Kyoto, les États n'avaient pas été en mesure de régler la question du régime des sanctions en cas de violation des obligations des États parties. L'article 18 du Protocole prévoit que les parties devront approuver des procédures et des mécanismes efficaces pour les cas de non-respect de ses dispositions. Il ajoute aussi que, si les procédures ou les mécanismes prévus en cas de non-respect entraînent des conséquences qui lient les parties, ils doivent être adoptés «au moyen d'un amendement au présent Protocole». Or les Accords de Bonn-Marrakech, qui sont venus établir le régime de «sanctions» du Protocole de Kyoto, n'ont pas été adoptés par le biais d'un amendement au Protocole de Kyoto, de sorte que ces sanctions ne sont pas juridiquement obligatoires.
Que prévoit ce régime de sanctions «non juridiquement obligatoire»? Les accords de Bonn-Marrakech créent un Comité de contrôle qui, lorsqu'il constate qu'un État ne respecte pas son plafond d'émissions, peut déclarer l'État visé en situation de non-respect et appliquer les mesures suivantes.
-Il déduit, de la quantité attribuée à cet État pour la deuxième période d'engagement, un nombre de tonnes égal à 1,3 fois la quantité de tonnes excédentaires. C'est dire que, pour chaque tonne qui n'a pas été réduite, il doit y avoir non seulement compensation au cours de la deuxième période mais aussi une pénalité supplémentaire de 30 %, la tonne non réduite devenant ainsi 1,3 tonne au cours de la deuxième période d'engagement.
-Il suspend la participation de cet État au marché international des droits d'émissions.
-Il exige l'élaboration d'un plan d'action afin de corriger la situation. Ce plan doit comprendre une analyse des motifs du non-respect, un exposé des mesures projetées pour remplir les obligations de réduction au cours de la période d'engagement suivante et un calendrier d'application de ces mesures pour les trois prochaines années. La partie défaillante doit en outre soumettre annuellement son rapport d'étape.
Faux prétexte
Jusqu'à maintenant, le Canada n'a été visé que par une procédure de contrôle, en 2008, en raison de son retard dans la mise en place d'un registre national et d'un système relié au Relevé international des transactions. Tout en jugeant que l'état du registre national canadien avait donné lieu à un non-respect des lignes directrices établies en vertu du Protocole, le Comité a estimé néanmoins, sur la base des assurances fournies par le Canada, qu'il existait suffisamment de faits pour éviter une constatation formelle de non-conformité et qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure.
La question qui se pose est de savoir si, en 2012, à l'issue de la période de mise en vigueur du Protocole de Kyoto, alors que le Canada ne respectera pas son obligation de réduction de 6 % de ses émissions, il pourra être sanctionné? La réponse est non, et ce, pour plusieurs raisons.
-Les Accords de Bonn-Marrakech de 2011, qui prévoient les mécanismes de conformité et de «sanctions», n'ont pas été adoptés par le biais d'un amendement formel au Protocole de Kyoto et ils ne sont, par conséquent, pas juridiquement obligatoires.
-Le Canada pourrait se voir contraint — mais, encore là, pas de façon juridiquement contraignante — d'accepter une obligation de réduction de ses obligations futures de 30 % supplémentaire pour chaque tonne non réduite pendant la période Kyoto (2008-2012). Or cela ne serait possible que si le Canada acceptait de s'engager de nouveau pour une période post-2012 (2013-2020) dans le cadre du Protocole de Kyoto tel que nous le connaissons actuellement. Or rien ni personne ne pourrait l'obliger à souscrire à de nouveaux engagements au-delà de ses possibilités d'action.
Ainsi, même si les États réunis à Durban en décembre ont adopté une feuille de route pour des négociations devant conduire à l'adoption, avant 2015, d'un protocole (donc d'un accord juridiquement contraignant) pour l'après-Protocole de Kyoto de 1997 phase 1 (2008-2012), le Canada aurait toujours eu la discrétion de ratifier ou non un tel protocole. Et s'il avait décidé de le ratifier, il aurait pu négocier des engagements de réduction de ses émissions de GES si faibles pour la période 2012-2020 qu'il n'aurait pas été véritablement affecté par cette pénalité supplémentaire de 30 %.
Alors, que faut-il comprendre des propos du ministre Kent qui a affirmé que le Canada avait dénoncé le Protocole de Kyoto pour éviter 14 milliards de dollars en pénalités? Que cet argument est faux et que c'est par sa propre incurie, parce qu'il n'a pas adopté une politique nationale conséquente, que le gouvernement conservateur a placé le pays dans une situation où, s'il devait respecter ses obligations de réduire ses émissions comme il s'était engagé à le faire en ratifiant le Protocole de Kyoto, il devrait aujourd'hui imposer des sacrifices impossibles à réaliser en si peu de temps et acheter tellement de droits d'émissions sur le marché du carbone que cela coûterait des milliards de dollars aux contribuables canadiens. Voilà ce qu'il faut comprendre des propos de notre ministre de... l'Environnement.
Enfin, il est vrai que les pays en développement représentent 80 % de la population mondiale, qu'ils produisent actuellement plus de 50 % des émissions nettes de GES (soit quatre tonnes d'équivalent CO2 par habitant) et que leur part dans les émissions de GES ne peut aller qu'en augmentant, à mesure que s'accroissent leur population et leur développement économique. Cela ne doit toutefois pas constituer un prétexte pour que le Canada dénonce un traité international qu'il s'est engagé à respecter.
Au contraire, si le Canada avait une chose à faire à Durban, c'était de s'amender et de prendre le droit chemin afin de pouvoir espérer un jour faire partie d'un bloc d'États développés capables de convaincre la Chine et les autres pays émergents d'accepter à leur tour des engagements juridiques pour protéger notre système climatique et tout ce qui en dépend.
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Jean-Maurice Arbour et Sophie Lavallée - Professeurs, Faculté de droit, Université Laval
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