Statut professionnel des journalistes - Un enterrement prématuré

La communauté journalistique québécoise ne serait-elle pas en train d'assister les bras croisés à l'enterrement de première classe de son propre statut professionnel? C'est hélas ce que je crains.

L'obtention d'un tel statut légal pour les journalistes du Québec correspond pourtant à l'aboutissement logique d'une étape décisive vers la professionnalisation du métier. Il s'agit là d'un enjeu majeur dans un processus d'affirmation collectif comme professionnels de l'information dans le contexte, faut-il le rappeler, d'une révolution numérique qui a remis en question les fondements mêmes de la pratique du journalisme partout sur la planète, tous médias confondus.

La question de la pertinence d'un statut professionnel pour les journalistes n'est pas sortie tout droit d'une boîte à surprises. C'est le fruit de décennies de réflexion et de discussions au sein de la communauté journalistique, puis de consultations et de recommandations d'un groupe de travail gouvernemental dirigé par la journaliste Dominique Payette, en 2009.

Or, le rapport de Mme Payette a fait l'objet d'un large consensus chez la grande majorité des journalistes québécois, tout autant que la question et la pertinence du statut professionnel.

Un os dans l'engrenage

Mais voilà que le projet de statut se heurte à quelques sérieuses embûches.

Première embûche: sa réalisation suppose que deux organismes, nommément le Conseil de presse du Québec (CPQ) et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), trouvent un terrain d'entente sur l'éventuelle gestion de la carte de presse.

C'est précisément là que le bât blesse. Nous assistons soit à une lutte de pouvoir stérile, soit à un dialogue de sourds entre les représentants des deux organismes. L'intérêt supérieur de la profession ne commanderait-il pas que le CPQ et la FPJQ déploient de réels efforts pour s'entendre?

Seconde embûche: certaines entreprises de presse, défavorables au projet, font subtilement pression sur le Conseil de presse pour que celui-ci n'aboutisse pas. Mais cette intrusion de directions de médias est plus que déplacée quand il s'agit de déterminer les balises de la professionnalisation du journalisme. On ne parle pas ici de pratiques commerciales, mais strictement professionnelles.

Alors laissons aux vrais spécialistes de la question le soin de s'en occuper, sans ingérence indue.

Un contexte de transformation

Le journalisme vit présentement une profonde mutation, tout comme les médias traditionnels, à la recherche pour la plupart d'un nouveau modèle d'affaires.

L'omniprésence du Web a profondément transformé la pratique journalistique et la diffusion de l'information, au même titre que la récession économique des dernières années, responsable de la disparition d'un grand nombre de journaux.

De surcroît, le Québec est toujours aux prises avec un degré de concentration aigu de la propriété des médias, qui favorise un affrontement exacerbé des principaux groupes de presse, souvent au détriment de la qualité de l'information.

Il n'y a pas que les journalistes qui vont profiter de l'obtention d'un statut professionnel, mais aussi le droit du public à une information crédible et fiable. Car l'immense flux d'informations qui circulent sur Internet n'est pas sans contenir une bonne dose d'improvisation dans le domaine du journalisme. Dans cet univers numérique, il est devenu difficile de départager le vrai du faux, l'information exacte et vérifiée de celle qui n'est que superficielle et approximative, et de déterminer surtout qui est véritablement journaliste et qui ne l'est pas.

Il faut savoir, pour conclure, que plusieurs membres de la communauté journalistique québécoise ne sont pas prêts à accepter l'enterrement prématuré du projet de statut, d'autant que le gouvernement du Québec, plus précisément la ministre Christine St-Pierre, est favorable à une législation en ce sens.

Il ne reste plus qu'à souhaiter maintenant que le Conseil de presse et la Fédération des journalistes retrouvent la voie du bon sens et celle d'une sereine concertation pour que le journalisme québécois franchisse un nouveau jalon, voire une étape fondamentale, vers une maturité et une autonomie professionnelle accrues. Ce qui devrait avoir pour effet d'améliorer le niveau de crédibilité de la presse auprès de la population.

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Robert Maltais - Ex-secrétaire général du Conseil de presse, l'auteur est éthicien et directeur du programme de journalisme à l'Université de Montréal

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