Gaz de schiste - Du Québec à la Pennsylvanie

L'opposition à l'industrie des gaz de schiste est plus forte au Québec qu'en Pennsylvanie. Si partout les environnementalistes s'inquiètent des risques pour l'environnement de cette industrie, les Québécois qui habitent près des zones potentielles d'exploitation clament fort ici leur mécontentement. Sont-ils plus verts que les Pennsylvaniens?
En plus des caractéristiques géologiques particulières des schistes d'Utica au Québec et de Marcellus en Pennsylvanie, ces deux États affichent des conditions socioéconomiques et institutionnelles différentes qui déterminent l'acceptabilité sociale de l'industrie. Nous présentons ici quatre de ces différences qui colorent les débats au Québec.Le droit de propriété du sous-sol
Dans les deux États, les résidants voisins d'une exploitation n'obtiennent aucune compensation pour les désagréments qu'ils subissent. Mais les premiers intéressés, les propriétaires terriens, ont moins à gagner de l'exploitation au Québec qu'en Pennsylvanie.
Au Québec, le propriétaire d'un terrain n'en possède que la surface: les richesses du sous-sol demeurent la propriété du gouvernement. En Pennsylvanie, le droit de propriété comprend tant la surface que le sous-sol: un prospecteur gazier doit négocier avec le propriétaire non seulement une compensation pour les désagréments de l'activité en surface, mais aussi une redevance sur la valeur des ressources extraites du sous-sol. Le propriétaire québécois ne négocie que la première compensation: les redevances sur la ressource sont l'affaire du gouvernement.
En Pennsylvanie, le montant des redevances dépend du résultat de la négociation: les propriétaires des sites les moins coûteux à exploiter obtiennent une grande redevance par mètre cube de gaz. Au Québec, le gouvernement demande les mêmes redevances quels que soient les coûts.
Les propriétaires québécois sont contre l'exploitation parce que, contrairement aux propriétaires pennsylvaniens, ils n'en retirent pour eux-mêmes que peu de bénéfices. Et ils le font publiquement savoir parce que seul le gouvernement est en mesure d'interdire à une compagnie de fracturer le schiste sous leur maison, alors que les propriétaires pennsylvaniens ont toujours le choix de ne pas l'y autoriser ou d'être indemnisés selon leur propre évaluation.
Mais la nature publique de la propriété du sous-sol n'explique pas à elle seule pourquoi le Québec est moins accueillant envers l'industrie.
L'histoire
Le Québec a peu d'expérience dans la production des hydrocarbures et son encadrement réglementaire. La Pennsylvanie, par contre, est le berceau de cette industrie puisque c'est là que le colonel Drake y fora le premier puits en 1859. De cette longue histoire d'exploitation, elle hérite d'une réglementation opérationnelle pour encadrer la nouvelle industrie de la fracturation hydraulique des schistes, mais aussi d'un certain passif puisque les milliers de puits traditionnels forés dans le passé peuvent s'avérer des voies de fuite vers les aquifères aux produits toxiques associés à la fracturation.
Inévitablement, le Québec est en mode rattrapage en matière de prospection gazière: peu s'émeuvent du harnachement de rivières sur la Côte-Nord ou de la réfection de la centrale nucléaire de Gentilly, mais tous s'inquiètent qu'on creuse des trous dans le sol.
La géographie
La trentaine de puits récemment forés ici se trouvent dans la plaine du Saint-Laurent entre Montréal et Québec. Lors d'un forage, on peut apercevoir la tour de forage (derrick) à quelques kilomètres de distance et constater le va-et-vient des camions. Cela déplaît aux villégiateurs et aux retraités qui prisent cette région rurale mais proche de la ville, particulièrement le long du Richelieu.
En Pennsylvanie, entre Philadelphie et la capitale Harrisburg, la plaine agricole (où vit la fameuse communauté amish) est épargnée. La zone exploitée se trouve dans les collines boisées de l'ouest et du nord: depuis la route, on ne voit rien des activités de l'industrie.
L'économie
L'industrialisation de la Pennsylvanie s'est effectuée au XIXe siècle à partir du charbon et de l'acier. Après des décennies de prospérité, les aciéries de Pittsburgh ont connu un long déclin sous la pression de la concurrence internationale pour finalement faire faillite vers 1970, en faisant basculer la ville dans la rust belt: une région économique en déclin avec une structure industrielle reflétant une époque révolue.
Pittsburgh a ensuite réorienté son économie vers les services de santé et d'éducation, mais cette conversion n'a pas suffi à revitaliser les petites communautés avoisinantes situées dans les Appalaches. Les choses ont changé depuis cinq ans avec le développement accéléré de l'industrie du gaz de schiste, qui offre des emplois bien rémunérés et qui demande des services de toutes sortes à l'industrie locale. L'impact économique est manifeste.
Au Québec, l'économie de la plaine du Saint-Laurent (entre Montréal et Québec) se porte déjà bien depuis la signature de l'entente de libre-échange avec les États-Unis en 1989. De plus, la villégiature y est en pleine expansion. L'arrivée de l'industrie du gaz de schiste ne fait qu'ajouter à la demande pour les ressources locales et les salaires élevés qu'elle offre n'ont pas d'attrait pour les villégiateurs et les retraités.
Propriétaire du sous-sol
Plusieurs schistes peuvent être exploités en Amérique du Nord. Ceux du Québec et de la Pennsylvanie ont l'avantage économique important d'être près des consommateurs finaux de la côte est américaine. Par contre, cette proximité des zones plus densément peuplées soulève des problèmes d'acceptation sociale. Il faut que les résidants près des zones d'exploitation y trouvent leur compte.
En Pennsylvanie, la propriété privée du sous-sol, la géographie, l'histoire et la piètre situation économique ont créé des conditions favorables. Au Québec, il y a bien quelques zones où les conditions s'apparentent à celles de la Pennsylvanie; cependant, pour la majorité des zones, la propriété publique du sous-sol entraîne que le gouvernement en soit l'arbitre final.
***
Jean-Thomas Bernard, professeur invité au Département de sciences économiques de l'Université d'Ottawa et Patrick González, professeur au Département d'économie de l'Université Laval
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.