Médecins de famille - Une gestion déficiente des effectifs médicaux

Au Québec, 33 % des Montréalais n’ont pas de médecin de famille; en Ontario, seulement 8 % n’en ont pas.
Photo: Agence France-Presse (photo) Justin Sullivan Au Québec, 33 % des Montréalais n’ont pas de médecin de famille; en Ontario, seulement 8 % n’en ont pas.

Pour la plupart des Québécois, il est clair qu'il y a une pénurie de médecins de famille dans la province. Cependant, les médias persistent à nous transmettre des affirmations troublantes sur l'ampleur de la pénurie. Un examen des données permet d'éviter toute fausse interprétation.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec dispose probablement des meilleures données disponibles sur la main-d'oeuvre en médecine familiale. Elles font état des ressources humaines dans les soins de première et de deuxième lignes et montrent que nous avons besoin de 8729 médecins de famille à temps complet au Québec et qu'il n'y en a que 7754 en poste (un manque de 1175).

Par ailleurs, l'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS), une entité financée par les échelons fédéral et provinciaux, calcule que nous disposons de 8635 médecins de famille, 1181 de plus que ce qu'affirme le ministère québécois et environ cent de moins que le nombre nécessaire pour satisfaire les besoins. D'où provient la différence dans ces estimations?

Le moyen le plus simple, mais également le moins fiable, de mesurer le nombre de médecins de famille est de compter les certificats de médecins de famille dans une région donnée. Le défaut de la méthode (souvent appelée dénombrement) est que plusieurs médecins de famille se livrent à d'autres activités que celle de voir des patients, comme l'enseignement, la recherche ou le secteur privé, et certains peuvent même être à la retraite ou exercer dans une autre province.

L'ICIS tire son information sur le nombre de médecins de la base de données médicale Scott's, qui considère que toute personne détenant un diplôme en médecine et dont le courrier n'est pas retourné est un médecin! Heureusement, le MSSS utilise le concept d'équivalent temps complet (ETC), c'est-à-dire une estimation reposant sur l'activité d'un médecin à temps complet qui quantifie leur nombre en fonction de cette activité.

Calcul de ratio

Récemment, François Legault, ancien ministre de la Santé, déclarait lors d'une entrevue au journal La Presse, le 23 février 2011, qu'il y a 8000 médecins de famille au Québec et que nous n'en avons besoin que de 5500. Cette erreur d'interprétation — qu'elle soit intentionnelle ou non — tient au fait que plus de 40 % de l'activité des médecins de famille a lieu en deuxième ligne, qu'il s'agisse des urgences, de patients admis à l'hôpital ou d'autres programmes. Par exemple, les équipes de santé mentale annoncées récemment nécessiteront 40 médecins de famille à temps complet pour donner les résultats escomptés sur l'île de Montréal à elle seule. Un point sur lequel nous sommes tous d'accord est qu'il faut un médecin de famille pour dispenser les soins de première ligne à 1500 personnes. Dans des pays comme l'Angleterre, où les médecins de famille ne dispensent quasiment que ce type de soins, le ratio est plus simple à calculer.

Il faut également prendre en considération le nombre de médecins qui prennent leur retraite chaque année, ainsi que l'augmentation des besoins due au vieillissement et à la croissance de la population. On prévoit la perte de 155 médecins de famille cette année à l'échelle de la province alors que la population vieillit et augmente. Le ministère estime que nous aurons besoin de 340 médecins de famille chaque année simplement pour maintenir le piètre accès dont nous disposons actuellement. La cohorte de médecins de famille que nous pouvons recruter au Québec a doublé depuis 1994, de 150 à 300. Le nombre de 300 représente 95 % de la cohorte de diplômés en médecine familiale cette année. Nous sommes donc loin de remédier à la pénurie.

Question de géographie


La dernière chose à prendre en compte est l'endroit où les services sont dispensés. Il peut y avoir une grande différence entre les médecins présents dans une région et les services consommés par la population. Dans le meilleur des mondes, les patients verraient leur médecin de famille près de chez eux. Cependant, comme le sait quiconque emprunte le pont Champlain le matin, un grand nombre de patients se rendent dans un autre secteur pendant la journée.

Chaque jour, il y a un afflux net de 330 000 travailleurs à Montréal. Cela ne comprend pas les étudiants ni les autres activités. L'un des principes de l'assurance-maladie est la mobilité, et les patients devraient se sentir libres de s'en prévaloir. Environ 100 médecins de famille ETC à Montréal se consacrent à la population venant travailler d'ailleurs. Le centre-ville de Montréal compte 104 médecins de famille à temps complet alors que sa population n'en a besoin que de 42. De ces 104 médecins de famille, seulement 37 travaillent dans des cabinets ou des CLSC, dont 23 seulement desservent la population.

La moyenne provinciale (non optimale) est de 29. Malheureusement pour la région métropolitaine, le gouvernement du Québec a pour politique d'affecter les médecins selon le lieu de pratique, si bien que la région est considérée comme ayant un surplus de huit médecins de famille (soit 37-29) au lieu d'un manque relatif de six médecins ETC (soit 23-29). La région n'est pas autorisée à recruter de nouveaux diplômés cette année.

Population avertie

Le gouvernement du Québec gère la main-d'oeuvre médicale d'une façon très particulière. Il a offert un programme de retraite anticipée aux médecins de famille dans les années 1990. Il impose des limites de recrutement pour toutes les régions du Québec depuis 2004. Il limite le recrutement provincial à 5 % de moins que le nombre de diplômés des programmes d'enseignement au Québec. Par contraste, l'Ontario n'a jamais eu de programme de retraite anticipée, ne limite pas le recrutement et recrute 20 % de plus que le nombre de ses diplômés. Au Québec, 33 % des Montréalais n'ont pas de médecin de famille; en Ontario, seulement 8 % n'en ont pas.

La prochaine fois qu'on vous dit qu'il y a un nouveau médecin dans votre région, vous devriez poser quelques questions pour clarifier la situation. Est-ce l'ajout net d'un médecin de famille équivalent temps complet desservant la population en soins primaires ou un chercheur à temps partiel qui ne voit que des patients atteints d'une maladie rare et provenant d'une autre région?! Les politiciens réaliseront peut-être alors qu'ils ont affaire à une population avertie, qui est prête à réclamer les services dont elle a besoin.

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Mark Roper - Chef du Département régional de médecine générale à l'Agence de santé et des services sociaux de Montréal

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