La réplique › accès à l'information - Radio-Canada doit lever le voile sur ses dépenses

La semaine dernière, j'ai été invité à témoigner devant le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique de la Chambre des communes pour y discuter des pratiques de CBC/Radio-Canada en matière d'accès à l'information.
À cette occasion a resurgi la thèse, reprise dans les pages du Devoir le 25 octobre par le professeur de droit Pierre Trudel, selon laquelle il serait inapproprié pour un groupe médiatique comme Quebecor Media de formuler des demandes d'accès à l'information auprès de CBC/Radio-Canada sous prétexte que celles-ci pourraient porter atteinte à sa liberté éditoriale.Or, comme nous l'avons affirmé devant le comité, nous sommes les premiers à monter aux barricades pour empêcher quiconque d'avoir accès aux sources de nos professionnels de l'information et jamais nos demandes n'ont visé l'identification de sources journalistiques. Nos demandes ont plutôt porté sur le coût véritable d'un projet informatique de plusieurs dizaines de millions de dollars, sur le budget des célébrations du 75e anniversaire de CBC/Radio-Canada et sur la taille de son parc de voitures.
À toutes ces questions, le diffuseur d'État nous est revenu avec des documents hautement caviardés, invoquant une série d'exemptions toutes aussi farfelues les unes que les autres. Bref, il n'a livré aucune information utile et, surtout, aucun montant permettant aux contribuables finançant ses activités de juger de l'usage de la subvention de 1,1 milliard de dollars qui lui est versée.
Demandes conformes à la loi
Malgré ce qu'en pensent ceux qui nous accusent de mener une guerre contre CBC/Radio-Canada, nous croyons que de telles demandes sont non seulement légitimes et d'intérêt public, mais tout à fait conformes à l'esprit de la Loi sur l'accès à l'information.
Malheureusement, la réalité veut que Sun Media soit actuellement le seul groupe de presse ayant la distance et l'indépendance requises pour poser ces questions au diffuseur d'État, tant plusieurs de nos concurrents sont inféodés à CBC/Radio-Canada.
Est-ce en effet un hasard si la présence des journalistes du quotidien La Presse, publié par Power Corporation, sur les ondes de la télé et de la radio de Radio-Canada, est inversement proportionnelle au nombre d'enquêtes lancées par ce quotidien sur CBC/Radio-Canada, lui qui en fait pourtant une spécialité?
En fait, la relation incestueuse entre Power Corporation et CBC/Radio-Canada va bien au-delà de ces portes tournantes journalistiques pour inclure un véritable partenariat d'affaires, par l'entremise de La Presse Télé, la filiale de production télévisuelle de Power Corporation. Une trentaine d'émissions produites par La Presse Télé ont été diffusées à Radio-Canada entre 2002 et 2010, soit pratiquement autant que sur toutes les autres chaînes réunies. Dans les faits, c'est plus de 80 % de la production de La Presse Télé qui s'est retrouvée à CBC/Radio-Canada durant cette période, ce qui représente des revenus de plus de 150 millions de dollars pour ce producteur affilié à un grand groupe de presse.
C'est sans parler du fait que La Presse canadienne, propriété de Power Corporation, Torstar et du Globe and Mail, compte la société d'État comme son plus important client.
Interprétation généreuse
Pendant ce temps, quiconque ose remettre en question les pratiques de CBC/Radio-Canada et lui réclamer des comptes se retrouve rapidement à en payer le prix. Nous en savons quelque chose chez Quebecor Media, car nos médias font l'objet d'un boycottage publicitaire de la part du diffuseur d'État depuis maintenant plus de deux ans. La semaine dernière, le diffuseur d'État s'est même permis de diffuser un communiqué contenant des informations fausses et diffamatoires à notre égard dans le but évident d'interférer avec notre témoignage devant le comité mentionné précédemment.
Depuis près de 30 ans, le régime d'accès à l'information et l'institution chargée de son application, le Bureau du commissaire à l'information, ont fait leurs preuves, devenant des piliers de notre démocratie. L'accès à l'information est d'ailleurs un droit quasi constitutionnel, reconnu comme tel par la Cour suprême du Canada depuis 1997. À ce titre, la Loi sur l'accès à l'information se doit d'être interprétée généreusement au bénéfice de la population et de la démocratie.
Pourtant partisane d'une telle approche dans ses propres activités journalistiques, CBC/Radio-Canada demande aujourd'hui aux tribunaux et au Parlement d'avaliser une approche tout autre en vertu de laquelle le diffuseur d'État pourrait décider lui-même de l'application la loi sur ses propres documents. Cette approche, comme l'a déjà affirmé un juge de première instance, aurait pour effet de «consacrer la société d'État comme juge et partie en ce qui a trait aux demandes d'accès qu'elle reçoit». Le seul recours d'un demandeur en cette matière serait les tribunaux, sans égard aux coûts et aux délais liés à de telles démarches.
En d'autres mots, CBC/Radio-Canada demande aux Canadiens de lui faire confiance. Chez Quebecor Media, nous croyons plutôt que c'est à CBC/Radio-Canada de faire confiance aux Canadiens et c'est pourquoi, comme c'est notre devoir de le faire, nous allons continuer d'insister pour que le diffuseur d'État lève le voile sur ses dépenses.
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Pierre Karl Péladeau - Président et chef de la direction de Quebecor inc., Quebecor Media inc. et Corporation Sun Media