Comité permanent de l'accès à l'information - Radio-Canada, entre liberté d'expression et responsabilisation

La controverse engendrée par les débats judiciaires au sujet de l'étendue du droit d'accès aux informations détenues par la Société Radio-Canada (SRC) révèle la difficulté de concilier, d'une part, la nécessaire liberté d'expression pour une entreprise de radiodiffusion chargée par la Loi de procurer un service public de radiodiffusion caractérisé par la rigueur, mais aussi par les plus hauts standards de qualité en information et, d'autre part, la nécessité d'assurer la responsabilisation de la SRC qui est principalement financée par les fonds publics.

Investie de la mission de procurer le service national public de radiodiffusion tel qu'il est décrit dans la Loi sur la radiodiffusion, la Société Radio-Canada se trouve à être à la fois un radiodiffuseur comme tous les autres et un organisme public financé par les ressources des Canadiens. À ce titre, il est apparu légitime que la SRC soit assujettie aux exigences de la Loi sur l'accès à l'information, mais uniquement pour ses activités ne relevant pas des matières de journalisme, de création et de programmation. L'article 68.1 de la Loi sur l'accès se lit comme suit:

«La présente loi ne s'applique pas aux renseignements qui relèvent de la Société Radio-Canada et qui se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation, à l'exception des renseignements qui ont trait à son administration.»

Cette disposition constitue une exclusion sujette à une exception, concernant les «renseignements qui ont trait à son administration». Ces derniers continuent d'être visés par la Loi sur l'accès tandis que, pour les renseignements qui se rapportent aux activités de journalisme, de création ou de programmation de la SRC, la Loi sur l'accès ne s'applique pas.

Indépendance éditoriale

Pour cerner le sens et la portée de cette exclusion, il faut la situer dans le contexte juridique qui encadre les activités de radiodiffusion puisque la SRC est a priori un radiodiffuseur — à ce titre protégée, comme tous les autres médias canadiens, par la liberté éditoriale. Mais la SRC est également un radiodiffuseur chargé d'assurer le service national de radiodiffusion prévu à la Loi sur la radiodiffusion et à ce titre tenue à une obligation de rendre compte des ressources publiques qu'elle utilise. C'est ce double aspect de la SRC que vise à concilier l'exclusion de l'article 68.1 de la Loi sur l'accès.

La SRC jouit d'un degré de liberté éditoriale analogue à celui qui prévaut à l'égard des autres entreprises de radiodiffusion. La Loi sur la radiodiffusion précise que c'est à titre de «radiodiffuseur public national» que la SRC offre ses services. Cette précision est importante; la Société n'est pas une émanation du gouvernement: elle est chargée de rendre un service qui, par sa nature même, présuppose une indépendance éditoriale.

Dans cet esprit, plusieurs dispositions de la Loi sur la radiodiffusion imposent une cloison étanche entre les instances gouvernementales et la SRC. Par exemple, une disposition interdit aux ministres d'exiger de la SRC qu'elle leur livre des renseignements dont la remise est susceptible de porter atteinte à son indépendance en matière de journalisme, programmation et création. Pour ses activités de programmation, la SRC est tenue de rendre compte au CRTC, non aux politiciens.

Liberté de presse

Si la Loi sur la radiodiffusion a pris soin de prévoir que même les ministres n'ont pas le droit d'obtenir certains renseignements dont la divulgation serait susceptible de porter atteinte à l'indépendance de la Société Radio-Canada, il faut postuler qu'à plus forte raison, toutes les personnes pouvant se prévaloir de la Loi sur l'accès ne peuvent se trouver dans une position plus favorable que les ministres au regard de ces renseignements.

C'est pourquoi l'article 68.1 de la Loi sur l'accès dispose que seuls les «renseignements qui ont trait à son administration» et qui sont en possession de la SRC sont accessibles. Par contre ne sont pas visés par la Loi sur l'accès et par conséquent non accessibles les renseignements concernés par les matières de journalisme, création et programmation. La Loi sur l'accès confère à Radio-Canada le droit de garder secrets les documents que n'importe quelle autre entreprise de radiodiffusion trouverait inadmissible d'être forcée de rendre publics en démocratie.

Peut-on en effet imaginer ce qui resterait la liberté de presse s'il était possible de contraindre une entreprise de presse à donner accès à des documents relatifs à ses fonctions journalistiques, de création ou de programmation?

Équilibre nécessaire

La raison d'être de la SRC est de procurer aux Canadiens une programmation conforme à ce qui est prescrit par la Loi sur la radiodiffusion. Toutes les caractéristiques de la programmation que doit fournir la SRC renvoient à la fois à des activités de conception et de réalisation d'émissions, de programmation et d'information qui doivent être originales et diversifiées. C'est pourquoi il peut paraître difficile de savoir quels éléments des activités menées par la SRC pourraient être considérés comme ne participant pas à ses activités de programmation, de création ou de journalisme. D'où la nécessité de demander aux tribunaux de déterminer si, concrètement, un document est ou non concerné par les activités de journalisme, création et programmation de la SRC.

Les dispositions des lois sur la radiodiffusion et sur l'accès à l'information visent à garantir un espace d'indépendance aux radiodiffuseurs en général et au radiodiffuseur chargé d'assurer le service national de radiodiffusion — la SRC — en particulier. Tous ceux qui sont attachés à la liberté de presse et ont à coeur le droit du public à l'information trouveront nécessaire d'assurer un équilibre entre les exigences de transparence qui incombent nécessairement à tout organisme financé par les deniers publics et les impératifs d'indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation qui, en contexte démocratique, sont inhérents à une entreprise de radiodiffusion.

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Pierre Trudel - Professeur de droit de l'information à la Faculté de droit de l'Université de Montréal

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