Crime et justice - La loi C-10 doit être repensée
Au cours de l'histoire relativement courte du Canada, la détermination de la peine en matière pénale a rarement fait l'objet d'un véritable débat public qui soit tout à la fois éclairé et rationnel. Étant donné le dépôt du projet de loi C-10, intitulé Loi sur la sécurité des rues et des communautés, présenté par le gouvernement conservateur le 20 septembre dernier, il est essentiel de rappeler les principes et les objectifs censés guider la détermination de la peine.
En effet, si, comme nous l'assure le ministre de la Justice Rob Nicholson au sujet de la réforme qu'il propose, «ce n'est pas la fin, mais seulement le début de nos efforts», les projets législatifs du gouvernement actuel auront pour effet de changer radicalement la philosophie qui sous-tend notre système de justice pénale en ce qui a trait à la détermination de la peine. Le processus est déjà enclenché. Qui plus est, c'est l'essence même de notre démocratie qui est en cause ici.Corpus législatif répressif
Au début des années 80, le gouvernement, préoccupé par un taux d'incarcération considéré parmi les plus élevés au sein des démocraties occidentales, ainsi que par un système de détermination de la peine généralement perçu comme étant incohérent et dysfonctionnel, a lancé la Commission canadienne sur la détermination de la peine. Cette dernière a recommandé une série de changements progressistes et éclairés visant à réduire le taux d'incarcération et à restaurer la confiance du public dans son système judiciaire, avec le souci d'y apporter plus de cohérence.
Pour ce faire, on a tenté de promouvoir le recours à des peines alternatives à la prison et à des programmes de réhabilitation adaptés aux circonstances. Les objectifs que s'était fixés la Commission canadienne sont loin d'avoir été atteints, mais les tribunaux, appuyés par le gouvernement de l'époque, ont reconnu leur importance.
Malheureusement, le projet de loi C-10 fait partie d'un corpus législatif répressif, qui va radicalement à l'encontre de ce qui était proposé au début des années 80, qui contrecarre le principe de la modération dans l'administration des peines d'emprisonnement et qui menace le respect des libertés individuelles enchâssées dans la Charte des droits et libertés.
Réhabilitation négligée
L'objectif de mieux répondre aux besoins des victimes est légitime et louable. L'argument selon lequel le projet de loi C-10 atteindra cet objectif est illusoire. Faire appel au désir de vengeance réel ou perçu des victimes, c'est accorder trop d'importance à l'aspect rétributif de la peine, sans pour autant s'attaquer aux véritables causes de la criminalité. Cette réforme fait fi de tout ce qui touche à la réhabilitation des délinquants et omet de renforcer les mécanismes d'indemnisation des victimes.
Notre système pénal prévoit déjà une panoplie de mesures, dont la déclaration de la victime, les législations régissant les droits des victimes, les programmes d'indemnisation, les processus de réconciliation et les centres d'accueil pour les victimes. Par conséquent, une politique publique qui développerait et assurerait un meilleur financement de ces services, sans engorger davantage un système déjà surchargé, contribuerait à améliorer de façon notoire le vécu des victimes par rapport au système de justice pénale, et ce, à un coût bien moindre que celui lié à l'augmentation des taux d'incarcération.
Réformes non viables
Nous sommes tout particulièrement préoccupés par le fait que des travaux de recherche menés sur plusieurs décennies, et de surcroît financés par le gouvernement canadien, démontrent clairement que la nouvelle approche prônée par le projet de loi C-10 afin de réduire la criminalité n'est ni progressiste ni susceptible d'atteindre les objectifs fixés. En effet, ces recherches ont prouvé que les politiques qui prônent le durcissement des peines ne sont pas viables et qu'elles entraînent une augmentation onéreuse de la population carcérale, sans réduire pour autant le taux de criminalité.
Les leçons à tirer de l'expérience de nos voisins américains, où les taux de criminalité ont toujours été plus élevés que les nôtres, et ce, malgré une progression constante des condamnations pénales, donnent à réfléchir. D'après un récent rapport de l'ombudsman du Service correctionnel du Canada, les «conditions (en prison) compromettent les services correctionnels» et l'augmentation des peines minimales obligatoires entraîne un surpeuplement des prisons.
Ceci est préoccupant, dans la mesure où le surpeuplement carcéral limite l'accessibilité aux services de réhabilitation, qui sont pourtant essentiels si on veut prévenir la récidive. De même, la réduction de l'accès aux pardons comme prévue par la nouvelle loi est inquiétante, car le pardon est indispensable pour permettre la réintégration des délinquants au sein de la société. Selon la Commission des libérations conditionnelles du Canada: «Depuis 1970, plus de 400 000 Canadiens se sont vu accorder un pardon. Environ 96 % des pardons sont encore en vigueur, ce qui montre que la vaste majorité des personnes qui en obtiennent un continuent de vivre dans le respect des lois.»
Préjudice aux marginalisés
Le «durcissement des peines» porte gravement préjudice aux populations marginalisées, particulièrement les peuples autochtones, les jeunes à risque et les personnes souffrant de maladies mentales. En effet, étant donné la complexité des problèmes que rencontrent ces groupes, il est nécessaire de maintenir une certaine flexibilité afin de favoriser les mesures alternatives à l'incarcération. Les peines minimales obligatoires sont particulièrement néfastes à cet égard, car elles empêchent les juges de prendre en considération les facteurs sous-jacents qui touchent ces populations, qui deviennent surreprésentées au sein du système carcéral. En outre, ces mesures portent atteinte au principe de l'indépendance judiciaire, car elles empiètent sur le pouvoir judiciaire en l'encadrant de manière restrictive.
Le projet de loi omnibus sur le crime va à l'encontre des actions et des discussions internationales sur le thème de la sûreté publique. En effet, un nombre de plus en plus important de pays et de villes dans le monde mettent en place des stratégies de prévention dans leur législation et leurs structures administratives, et s'éloignent de l'approche du «durcissement des peines». Les États-Unis, en particulier, si longtemps les champions inébranlables de la répression, réalisent graduellement que cette approche est excessivement coûteuse et inefficace. Dans la mesure où les données de Statistiques Canada indiquent une diminution graduelle constante des taux de criminalité, nous devrions être un exemple pour les autres pays. [...]
Si le projet de loi C-10 est adopté, c'est toute la démocratie canadienne et ses institutions qui en souffriront. Les délinquants seront indûment punis et ne bénéficieront pas de programmes de réhabilitation appropriés. En outre, ces changements entraîneront une augmentation considérable des dépenses en matière de services correctionnels, alors que la majorité des autres ministères doivent sabrer leurs budgets. La crise économique actuelle et son taux de chômage élevé parmi les jeunes ne militent pas en faveur d'un tel fardeau, ni sur le plan économique, ni sur le plan moral. Ce sont les générations futures et leurs gouvernements qui devront assumer ce fardeau sans avoir été consultés. Est-ce vraiment la voie dans laquelle nous voulons nous engager? C'est cette question qui demande à être examinée et débattue de manière approfondie, ce que le gouvernement actuel n'a pas fait lorsqu'il a mis de l'avant sa loi omnibus. Il faut s'y opposer vivement.
* Ont signé ce texte: Vivien Carli, Nicholas Dumouchel, Elise Groulx, Geneviève Dufour, Sébastien Jodoin, François Roch, Marie-Eve Sylvestre, Allison Turner, Francesco Carli, Sally Weeks, Margaret Shaw, Pierre Poupart, Louise Esther Fortin, Yves Préfontaine, Fannie Lafontaine, Alexandre Stylios, Julie Desrosiers, Klara Polom, Marielle Nitoslwska, Ross Hastings, Christian Nadeau.