Nelly Arcan: l'ambiguïté et la contradiction

À titre de concepteur rédacteur chez Parvis communications, j'ai eu la charge de rédiger les textes consacrés à son œuvre sur le site nellyarcan.com. Malgré tout ce travail et les centaines d'heures consacrées à sa lecture, l'auteure m'échappe encore et toujours; et la controverse qui entoure aujourd'hui la publication d'un texte posthume où elle évoque son expérience sur le plateau de Tout le monde en parle me donne encore à réfléchir.
Ce que je retiens de cette entrevue de Nelly Arcan à l'émission vedette de Radio-Canada, c'est bien sûr la logique du «show» télévisuel qui emprunte (trop) souvent les voies faciles de l'humour de cabaret (le générique, les blagues vaseuses, etc.). Ce que je retiens aussi, ce sont les contradictions de l'auteure par rapport à la sexualité, à l'image de soi, à la consommation de la féminité. Comme le résumait Dany Turcotte, Nelly dénonçait les carcans de la féminité tout en les alimentant.N'ayant jamais réussi ni voulu réellement percer le mystère Arcan, nous avons décidé de consacrer une section de son site aux contradictions de l'auteure, et plus largement à cette ambiguïté radicale qui la constituait. Cette ambiguïté concerne en premier lieu son rapport à l'autofiction et au dévoilement de soi dans ses deux premiers romans (Putain, 2001, et Folle, 2004), mais aussi sa soumission et son insoumission à la dictature de la beauté.
Ce qu'elle en disait
Sur ce dernier sujet, voilà ce que j'avais écrit, en essayant toujours de placer la parole de l'écrivaine au centre de l'oeuvre.
«Autre ambiguïté du personnage de Nelly Arcan que les critiques n'ont pas manqué de relever: son rapport quasi schizophrénique à la beauté et ce qu'elle dénonce comme une marchandisation du corps de la femme. Comme elle le dit très honnêtement:
"Si je n'étais pas moi et que je me rencontrais dans la rue, probablement que je me détesterais, j'ai les deux pieds dans ce que je dénonce toujours; en même temps, je suis capable de critiquer ça. C'est comme l'héroïnomane qui a un discours antidrogue."
En effet, Nelly Arcan a multiplié les interventions chirurgicales sur son propre corps et apparaît en tenues très sexy lors de ses campagnes de promotion. On lui a d'ailleurs souvent reproché de jouer le jeu de la surenchère en tentant de publiciser son intellect avec ses charmes. Nelly Arcan s'adonnait aussi à la désinvolture sexy en étalant ses préférences sexuelles dans les magazines et les émissions de télé (Summum, Les Francs-tireurs) et exigeait, l'instant d'après, qu'on se concentre sur ses idées. Ce discours sur la beauté peut s'appliquer à la prostitution:
"Tout le monde sait que je fais de la putasserie, une des plus grandes tares de l'univers; donc logiquement, je ne devrais pas être sexy, ni faire la pute. Mais en moi, ces deux contradictions coexistent très bien, elles ne s'excluent pas et se nourrissent même l'une de l'autre. Incarner précisément ce qu'on abhorre, pour moi, c'est parfaitement cohérent."
Cette attitude reflète un conflit intérieur: le désir de séduire les hommes, d'avoir un corps parfait, d'être sexuelle le dispute au besoin de se révolter contre ce qu'elle considère comme une aliénation.»
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Fabien Loszach - Rédacteur et conseiller création chez Parvis communications