L'éducation comme rempart à la violence
Depuis, plusieurs d'entre nous, de Dawson ou de l'extérieur, sous l'effet combiné du choc et de la tristesse provoqués par l'événement, ont entrepris de chercher des explications et ressenti le besoin de s'assurer que pareille tragédie ne puisse se reproduire. Bien qu'un tel espoir n'arrive jamais pleinement à se réaliser, nous nous sommes tout de même pris à imaginer ce que cela pourrait signifier si, comme société, nous nous engagions à examiner le problème de violence.
Cette question est au coeur de la conférence que le collège Dawson organise pour la fin du mois de septembre, laquelle fournira l'occasion de réfléchir au rôle que l'éducation peut jouer dans la prévention de la violence.
Enjeu de santé publique
Ces dernières années, la violence est devenue un enjeu de santé publique. C'est dire qu'il s'agit là d'un problème qu'il est possible de prévenir et qu'il devient nécessaire de l'affronter au moyen d'efforts concertés déployés par les gouvernements, les travailleurs sociaux, les intervenants du milieu de la santé et de l'éducation, entre autres instances. L'éducation a ainsi l'importante responsabilité de générer chez les étudiants les moyens pour mieux comprendre les causes associées à la violence et pour développer chez eux les habiletés et la vision requises pour construire un avenir moins violent et plus humain.
Le besoin pour une éducation apte à promouvoir une compréhension réelle des racines de la violence est par conséquent pressant. Souvent, en tant que société, nous privilégions les réponses simplistes. Les familles, dont sont issus les auteurs d'actes violents, sont bien souvent considérées comme responsables de ces actes, comme si elles vivaient en marge d'une société qui trop fréquemment ignore les besoins de ses membres.
Les récentes émeutes en Grande-Bretagne, par exemple, ont mis en lumière le besoin de fournir à la jeunesse marginalisée des quartiers défavorisés des opportunités sociales et économiques tangibles. Il devient dès lors trop facile d'étiqueter ceux qui s'engagent dans des comportements violents comme étant des mécréants ou des voyous. Pis encore, de les considérer comme des «criminels», comme l'a affirmé le premier ministre britannique, David Cameron, ou comme des «monstres» quand leur violence excède un niveau que l'on juge tolérable.
À l'évidence, ces réponses nous permettent d'exercer une mise à distance confortable par rapport à ceux qui utilisent un tel degré de déviance, nous interdisant par le fait même d'examiner les relations complexes que nous entretenons quant au phénomène de la violence. Faire face à la violence, qu'elle se manifeste dans les comportements abusifs ou les marques d'irrespect qui ponctuent notre quotidien ou qu'elle s'exprime dans les horreurs guerrières que nous apprenons à tolérer dans les contrées lointaines, nous rend inconfortables. Plusieurs d'entre nous préfèrent alors éviter de penser plus profondément aux actes directs ou indirects de violence qui agitent nos sociétés.
Tuer l'ennemi virtuel
En tant qu'éducateurs pourtant, nous considérons essentiel d'examiner ces enjeux avec nos étudiants, notamment parce que notre tendance à voir la violence comme quelque chose qui arrive du fait des «autres» coexiste avec des idées qui la normalisent et même la glorifient. Des expressions comme «les garçons seront toujours des garçons» ou des arguments en faveur de sanctions étatiques toujours plus répressives renforcent l'idée que la violence reste la seule chose qu'«ils» comprennent et demeurent des réponses par trop communes.
En tant que société, nous condamnons et craignons la violence, alors que nous la consommons virtuellement à grande échelle. Nous semblons remarquablement indifférents au fait qu'un des passe-temps favoris de tellement de jeunes, particulièrement les garçons et les jeunes hommes, est de consacrer un temps considérable à tuer des ennemis dans l'univers hyperréaliste de jeux vidéo, lesquels sont porteurs d'un important processus de désensibilisation émotionnelle.
Une étude récente de l'Université du Michigan suggère que les étudiants des collèges américains d'aujourd'hui sont 40 % moins empathiques que leurs prédécesseurs d'il y a 20 ou 30 ans. Cette étude devrait nous inciter à faire une pause et indique que nous tous, et plus particulièrement les personnes engagées dans l'éducation des jeunes générations, devrions amorcer une réflexion en profondeur sur le phénomène culturel grandissant de l'acception de la violence.
Comprendre les phénomènes violents
La conférence de fin septembre est un appel à entreprendre cette réflexion, une invitation pour que les maisons d'éducation regardent au-delà des scénarios de gestion de crise usuels, caractérisés par des situations de confinement ou d'identification du prochain tireur fou. Non pas que ces scénarios soient vains, au contraire. Mais un engagement à l'éducation préventive peut valoir davantage et représente une meilleure garantie d'espérer éradiquer la violence de nos vies.
Les participants à cette conférence partagent tous une perspective exigeant de notre part d'aller plus avant dans la compréhension du phénomène des actes violents. Que ce soit le Dr James Gilligan, psychiatre longtemps associé à la prestigieuse Harvard Medical School, parlant de la honte et de l'humiliation comme facteurs déterminants dans l'émergence de la violence ou encore le lieutenant-colonel David Grossman, ex-parachutiste et professeur de psychologie à West Point Academy, réfléchissant aux effets délétères de l'usage massif des jeux vidéo, ou bien même l'éducatrice et experte parentale Barbara Coloroso, démontant les mécanismes à l'oeuvre dans les actes d'intimidation, tous interpellent l'apparente passivité et indifférence qui marquent nos rapports avec la présence de la violence dans nos vies.
Pas de solution unique
Cette conférence s'adresse donc au spectateur neutre en nous en prenant pour thèmes de réflexion aussi bien la réalité actuelle de la violence dans nos écoles — intimidation, cyberintimidation, exclusion sociale et surgissements épisodiques d'actes extrêmes de violence — que les voies possibles pour que les maisons d'éducation et la pédagogie se modifient et puissent changer les choses.
De l'adoption de principes de justice réparatrice à l'effort concerté pour promouvoir une culture scolaire basée sur l'inclusion et le respect; d'une réflexion sur les liens entre genre et violence au racisme latent et aux phénomènes d'exclusion présents dans les écoles d'aujourd'hui; des pédagogies orientées sur le développement des savoir-être sociaux et émotionnels requis pour affronter sans violence des problèmes humains complexes à l'impact des traumatismes sur les processus d'apprentissage jusqu'aux techniques pour gérer émotionnellement des situations de provocation dans les classes, cette conférence a beaucoup à offrir pour les éducateurs, toutes disciplines confondues.
Elle ne privilégie pas une solution unique, une approche singulière qui ignorerait la complexité du phénomène de la violence, mais offre plutôt une pluralité de choix pour ceux et celles qui ont la responsabilité d'éduquer les adolescents et les jeunes adultes d'aujourd'hui et de demain.
Lorsque la violence extrême surgit comme cela s'est produit le 13 septembre 2006 au collège Dawson, nous qui fûmes directement affectés avons été touchés par l'élan de sympathie et le soutien exprimé par la communauté montréalaise, québécoise et canadienne. Nous espérons maintenant que celles et ceux qui ont souffert avec nous en ce jour tragique, les membres de notre communauté aussi bien que ceux de la société civile, se joindront à nous dans cet effort réel de faire de l'engagement à prévenir la violence un engagement tangible et significatif.
***
Richard Filion, directeur général du collège Dawson, Patricia Romano et Mary Hlywa, respectivement professeure de Humanities et professeure de service social au collège Dawson
Cette question est au coeur de la conférence que le collège Dawson organise pour la fin du mois de septembre, laquelle fournira l'occasion de réfléchir au rôle que l'éducation peut jouer dans la prévention de la violence.
Enjeu de santé publique
Ces dernières années, la violence est devenue un enjeu de santé publique. C'est dire qu'il s'agit là d'un problème qu'il est possible de prévenir et qu'il devient nécessaire de l'affronter au moyen d'efforts concertés déployés par les gouvernements, les travailleurs sociaux, les intervenants du milieu de la santé et de l'éducation, entre autres instances. L'éducation a ainsi l'importante responsabilité de générer chez les étudiants les moyens pour mieux comprendre les causes associées à la violence et pour développer chez eux les habiletés et la vision requises pour construire un avenir moins violent et plus humain.
Le besoin pour une éducation apte à promouvoir une compréhension réelle des racines de la violence est par conséquent pressant. Souvent, en tant que société, nous privilégions les réponses simplistes. Les familles, dont sont issus les auteurs d'actes violents, sont bien souvent considérées comme responsables de ces actes, comme si elles vivaient en marge d'une société qui trop fréquemment ignore les besoins de ses membres.
Les récentes émeutes en Grande-Bretagne, par exemple, ont mis en lumière le besoin de fournir à la jeunesse marginalisée des quartiers défavorisés des opportunités sociales et économiques tangibles. Il devient dès lors trop facile d'étiqueter ceux qui s'engagent dans des comportements violents comme étant des mécréants ou des voyous. Pis encore, de les considérer comme des «criminels», comme l'a affirmé le premier ministre britannique, David Cameron, ou comme des «monstres» quand leur violence excède un niveau que l'on juge tolérable.
À l'évidence, ces réponses nous permettent d'exercer une mise à distance confortable par rapport à ceux qui utilisent un tel degré de déviance, nous interdisant par le fait même d'examiner les relations complexes que nous entretenons quant au phénomène de la violence. Faire face à la violence, qu'elle se manifeste dans les comportements abusifs ou les marques d'irrespect qui ponctuent notre quotidien ou qu'elle s'exprime dans les horreurs guerrières que nous apprenons à tolérer dans les contrées lointaines, nous rend inconfortables. Plusieurs d'entre nous préfèrent alors éviter de penser plus profondément aux actes directs ou indirects de violence qui agitent nos sociétés.
Tuer l'ennemi virtuel
En tant qu'éducateurs pourtant, nous considérons essentiel d'examiner ces enjeux avec nos étudiants, notamment parce que notre tendance à voir la violence comme quelque chose qui arrive du fait des «autres» coexiste avec des idées qui la normalisent et même la glorifient. Des expressions comme «les garçons seront toujours des garçons» ou des arguments en faveur de sanctions étatiques toujours plus répressives renforcent l'idée que la violence reste la seule chose qu'«ils» comprennent et demeurent des réponses par trop communes.
En tant que société, nous condamnons et craignons la violence, alors que nous la consommons virtuellement à grande échelle. Nous semblons remarquablement indifférents au fait qu'un des passe-temps favoris de tellement de jeunes, particulièrement les garçons et les jeunes hommes, est de consacrer un temps considérable à tuer des ennemis dans l'univers hyperréaliste de jeux vidéo, lesquels sont porteurs d'un important processus de désensibilisation émotionnelle.
Une étude récente de l'Université du Michigan suggère que les étudiants des collèges américains d'aujourd'hui sont 40 % moins empathiques que leurs prédécesseurs d'il y a 20 ou 30 ans. Cette étude devrait nous inciter à faire une pause et indique que nous tous, et plus particulièrement les personnes engagées dans l'éducation des jeunes générations, devrions amorcer une réflexion en profondeur sur le phénomène culturel grandissant de l'acception de la violence.
Comprendre les phénomènes violents
La conférence de fin septembre est un appel à entreprendre cette réflexion, une invitation pour que les maisons d'éducation regardent au-delà des scénarios de gestion de crise usuels, caractérisés par des situations de confinement ou d'identification du prochain tireur fou. Non pas que ces scénarios soient vains, au contraire. Mais un engagement à l'éducation préventive peut valoir davantage et représente une meilleure garantie d'espérer éradiquer la violence de nos vies.
Les participants à cette conférence partagent tous une perspective exigeant de notre part d'aller plus avant dans la compréhension du phénomène des actes violents. Que ce soit le Dr James Gilligan, psychiatre longtemps associé à la prestigieuse Harvard Medical School, parlant de la honte et de l'humiliation comme facteurs déterminants dans l'émergence de la violence ou encore le lieutenant-colonel David Grossman, ex-parachutiste et professeur de psychologie à West Point Academy, réfléchissant aux effets délétères de l'usage massif des jeux vidéo, ou bien même l'éducatrice et experte parentale Barbara Coloroso, démontant les mécanismes à l'oeuvre dans les actes d'intimidation, tous interpellent l'apparente passivité et indifférence qui marquent nos rapports avec la présence de la violence dans nos vies.
Pas de solution unique
Cette conférence s'adresse donc au spectateur neutre en nous en prenant pour thèmes de réflexion aussi bien la réalité actuelle de la violence dans nos écoles — intimidation, cyberintimidation, exclusion sociale et surgissements épisodiques d'actes extrêmes de violence — que les voies possibles pour que les maisons d'éducation et la pédagogie se modifient et puissent changer les choses.
De l'adoption de principes de justice réparatrice à l'effort concerté pour promouvoir une culture scolaire basée sur l'inclusion et le respect; d'une réflexion sur les liens entre genre et violence au racisme latent et aux phénomènes d'exclusion présents dans les écoles d'aujourd'hui; des pédagogies orientées sur le développement des savoir-être sociaux et émotionnels requis pour affronter sans violence des problèmes humains complexes à l'impact des traumatismes sur les processus d'apprentissage jusqu'aux techniques pour gérer émotionnellement des situations de provocation dans les classes, cette conférence a beaucoup à offrir pour les éducateurs, toutes disciplines confondues.
Elle ne privilégie pas une solution unique, une approche singulière qui ignorerait la complexité du phénomène de la violence, mais offre plutôt une pluralité de choix pour ceux et celles qui ont la responsabilité d'éduquer les adolescents et les jeunes adultes d'aujourd'hui et de demain.
Lorsque la violence extrême surgit comme cela s'est produit le 13 septembre 2006 au collège Dawson, nous qui fûmes directement affectés avons été touchés par l'élan de sympathie et le soutien exprimé par la communauté montréalaise, québécoise et canadienne. Nous espérons maintenant que celles et ceux qui ont souffert avec nous en ce jour tragique, les membres de notre communauté aussi bien que ceux de la société civile, se joindront à nous dans cet effort réel de faire de l'engagement à prévenir la violence un engagement tangible et significatif.
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Richard Filion, directeur général du collège Dawson, Patricia Romano et Mary Hlywa, respectivement professeure de Humanities et professeure de service social au collège Dawson