Jeûne d'Anna Hazare en Inde - La soif des Indiens pour la démocratie
«Iam Anna», pouvait-on lire sur les dizaines de chapeaux de fortune qui coiffaient les têtes des gens qui déambulaient dans les dédales des ruelles de Delhi. Impossible d'y échapper: le mouvement populaire qui soutient Anna Hazare, cet Indien qui a tenu un jeûne pour réclamer au gouvernement une loi anticorruption, a finalement eu l'effet escompté.
Après quelque 13 jours de jeûne, les chaînes d'informations nationales diffusaient en direct le bris du jeûne d'Anna Hazare, qui s'inspirait des moyens pacifiques de Gandhi pour faire entendre sa cause.Au terme d'un long discours prononcé par un membre de Team Anna, l'instigateur de cet épisode de protestation populaire a brisé le jeûne en absorbant un jus de noix de coco.
Les revendications de Team Anna avaient essentiellement comme but de radicaliser une loi en créant un poste d'ombudsman qui aurait comme mandat de surveiller les activités des politiciens, tout particulièrement ceux oeuvrant dans les hautes sphères gouvernementales. Chaque État serait pourvu d'un Lokayuktas.
Adhésion des Indiens
Le premier ministre ManMohan Singh et son caucus tentaient, depuis le début de l'aventure de l'activiste septuagénaire, d'étouffer l'affaire en restreignant son jeûne à trois jours. Pris de revers par une adhésion titanesque des Indiens à la cause d'Anna Hazare, le gouvernement n'a eu guère le choix que de céder aux revendications de Team Hazare.
Si, en théorie, la bataille d'Anna Hazare contre la corruption semble remportée, il n'est pas garanti que le passage de la théorie à la pratique soit mené à terme. Le jeûne ne pouvait pas durer éternellement. Le gouvernement, estimé largement corrompu par l'Indien moyen, s'est acheté la paix — lire: du temps — en cautionnant les mesures souhaitées par Anna Hazare. Si les réformes sont enfin adoptées, qui diable pourrait bien empêcher le gouvernement de pourvoir les postes clés par des «amis du régime»?
De toute manière, le jeûne est terminé, et le mouvement ne jouit plus de l'icône qui lui insufflait — du moins pour l'instant — sa force vitale, Anna Hazare. Derrière la capitulation du gouvernement se trouve peut-être la décapitation du mouvement.
De l'Inde au Québec
Si les choses avaient à déraper, la Constitution indienne prévoit quelques dispositions permettant d'imposer une issue définitive à la contestation. L'article 352, par exemple, prévoit qu'en cas de troubles internes, l'état d'urgence pourrait être invoqué en dernier recours. Celui-ci autorise la suspension des libertés publiques et de la possibilité de tenir des élections.
Qu'elle soit de nature spontanée ou durable, la protestation indienne contre la corruption rappelle ce qui se passe chez nous, au Québec, particulièrement en ce qui concerne l'industrie de la construction. Le Québec a pourtant déjà connu son Anna Hazare. On se souvient de Pablo Lugo Herrera, ce Joliettain qui entamait en janvier dernier une grève de la faim pour forcer la tenue d'une commission d'enquête publique et l'instauration d'un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste.
Non, le Québec n'est pas l'Inde. Mais il faut tout de même en conclure que les Québécois n'ont peut-être pas autant d'appétit pour la démocratie que les Indiens.
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Laurent Trempe, collaborateur pour la revue juridique en ligne Faits et causes à New Delhi