Coalition pour l'avenir du Québec - Les idées prêtes à porter de François Legault
Alors que l'ancien ministre péquiste trône au sommet des sondages, on apprend que les libéraux se sont questionnés «sur la possibilité que M. François Legault, patron de la Coalition pour l'avenir du Québec [CAQ], soit en train de mettre sur pied une caisse occulte pour financer une éventuelle campagne électorale», comme le rapportait il y a quelques jours La Presse canadienne.
En guise de réponse, M. Legault a accusé les libéraux de faire de la «petite politique» et de demeurer muets sur les propositions mises de l'avant par la CAQ, notamment en éducation et en santé. Ainsi va la politique au Québec. Tous partis confondus, il s'agit de se maintenir dans le corridor étroit de l'information qui séduit l'électorat et fait les sondages, dans ce lieu où le bavardage remplace la discussion.Pour en sortir, il faut d'abord des idées, puis accepter d'en débattre publiquement. Et c'est bien ce à quoi la CAQ, par la voix de sa tête dirigeante, nous convie, ce dont il faut se réjouir. Pour améliorer la gouvernance en éducation et en santé, M. Legault espère toujours qu'un débat fasse ressortir la justesse de ses constats et la pertinence de ses propositions. Mais sauf pour les réactions toujours prévisibles des syndicats et corporations touchés, le débat sur les propositions de la CAQ n'a pas dépassé quelques chroniques plutôt négatives publiées dans les gazettes. Pourtant, avec un titre comme «Se doter de l'un des meilleurs systèmes d'éducation au monde d'ici 2020», on se serait attendu à plus d'émotion dans le public, à de l'espoir, de la peur, un désir de changement. Or, il n'y eut rien.
Repiquage d'idées
Après analyse du contenu des documents publiés jusqu'à maintenant, la raison nous apparaît évidente: la CAQ n'a pas cherché à interpréter les problèmes et les enjeux en éducation et en santé, mais plutôt à recopier des idées toutes faites, des idées prêts-à-porter du monde des affaires. Il suffit de remplacer les mots «éducation» et «santé» par aviation, mines ou sidérurgie pour voir que les propositions formulées sont de la même nature. «[...] nous croyons qu'il est grand temps que le Québec prenne le virage de la performance», affirment les auteurs. Dans les faits, la CAQ n'offre rien d'autre à notre réflexion que l'application de concepts et de pratiques de gestion qui, dans l'entreprise privée, n'ont pas nécessairement rempli leurs promesses.
Comme le soulignait pertinemment Pierre-André Julien, de l'Institut de recherche sur les PME de l'UQTR, ce que propose la CAQ, c'est l'application du vieux modèle de la direction par objectif (DPO ou GPO): «Déjà, on sait, rappelait M. Julien, que ce modèle est inopérant même dans le secteur privé quand la production requiert l'intelligence du personnel, comme dans les entreprises technologiques.» Plus encore, écrivait-il, appliqués au monde de l'éducation et celui de la santé, ces modèles de gestion relèvent d'une «illusion managériale».
Il faut se rebiffer
Ajoutons à ces remarques que les auteurs des propositions de la CAQ ne font pratiquement aucune référence aux nombreuses études, commissions d'enquête et recommandations déjà formulées au fil des ans au Québec en santé comme en éducation. Il est dans la nature de l'idéologie particulière des business schools de penser que la solution aux problèmes des organisations commence avec eux. Les produits de ces écoles ont la prétention d'être originaux, alors qu'ils plaquent des concepts dont les entreprises peinent à comprendre la portée réelle: efficience, efficacité, mesure quantitative de la performance, etc.
Si on peut partager certains constats de la CAQ (même si celle-ci n'est ni la première ni la seule à les faire), il reste que c'est au chapitre des solutions envisagées qu'on doit se rebiffer. Dans la gestion des grands réseaux du domaine public, la rationalisation par la fermeture d'usines, la suppression de centaines d'emplois ou la délocalisation ne sont pas des options possibles. Avant de penser même que la CAQ puisse devenir un parti politique, on doit déjà s'inquiéter du danger des solutions simplistes qu'elle véhicule pour l'avenir des systèmes d'éducation et de santé québécois.
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Jean-Noël Tremblay, Michel Héroux, Normand Chatigny et Denys Larose - Québec