Affaire DSK - Le féminisme à l'épreuve de la loi

Dominique Strauss-Kahn est passé par Washington, en début de semaine, pour visiter ses anciens employés du FMI.
Photo: Agence France-Presse (photo) Dominique Strauss-Kahn est passé par Washington, en début de semaine, pour visiter ses anciens employés du FMI.

Le non-lieu a-t-il changé fondamentalement les éléments d'appréciation de l'affaire Dominique Strauss-Kahn (DSK) dans une perspective féministe? Pas vraiment: car la sanction qui d'emblée avait été prise à l'endroit de DSK sur la seule foi de la parole de la femme de chambre et des éléments de preuve qui attestaient une relation sexuelle non consentie est irrémédiable. Non seulement DSK a dû démissionner de son poste au Fonds monétaire international (FMI), mais il n'avait dès lors plus aucune chance de participer à la course à la présidentielle en France.

Cette transformation majeure de son statut professionnel et politique a eu lieu parce que le procureur de la cour de New York a pris en considération, dans un premier temps, la version de la femme de chambre. Que cette version ne puisse soutenir l'examen d'un procès devant jury en droit criminel ne signifie pas qu'elle ne soit pas vraie ou véridique. On doit déplorer que la justice américaine ne représente pas de meilleure façon les victimes de viol; mais la dénonciation, sans doute salutaire, de ce système n'était pas mon propos.

Un changement a eu lieu, qui était passé jusque-là inaperçu: la séparation entre le public et le privé, qui sous-tend une grande partie de notre vie politique, a été abolie. Non seulement la vie privée de ces deux individus était devenue l'objet d'un véritable enjeu politique, mais la dénonciation publique d'une relation sexuelle forcée par la femme de chambre a entraîné la chute immédiate d'un homme, qui continuait de penser que toute sexualité était une affaire privée. La mise à jour de ce qui s'était passé dans cette chambre à coucher par l'autre protagoniste de l'événement l'a de facto fait sortir du cadre privé.

Une affaire qui relève de l'ordre public

C'est ce changement radical de la loi et des moeurs, initié non pas par un quelconque puritanisme américain mais par des revendications féministes attentives au droit des femmes à la libre disposition de leur corps, et donc au droit de dire non, qui fut révélé par cette affaire. La violence qui s'exerce en privé sur les femmes, ou sur les enfants d'ailleurs, ne peut plus être sanctuarisée ou considérée comme étant de l'ordre privé. Elle relève de l'ordre public et elle est passible de sanction. C'est ce que démontre cette affaire: même si le non-lieu a été prononcé, DSK a été sanctionné.

Ceci ne veut pas dire que les inégalités entre les hommes et les femmes sont réglées... loin de là. Mais il s'agit de prendre la mesure de ce changement qui marque les modus operandi nord-américains en matière de violence sexuelle, même si ceux qui régissent encore la plupart des pays européens restent peu ou pas appliqués, malgré des lois identiques contre les violences sexuelles.

Une remise en question salutaire

Pourquoi des femmes qui ont subi des violences sexuelles en France hésitent-elles à faire ce que Nafissatou Diallo a réussi à faire à New York? Pourquoi a-t-on vu des intellectuels français accuser le féminisme américain, fauteur de tous les troubles, de puritanisme? Comme si la violence sexuelle pouvait être assimilée à une morale! Si toutes les féministes s'entendent pour dénoncer la violence à l'égard des femmes, toutes les féministes ne s'entendent pas sur les façons de la combattre.

Et derrière cette fausse opposition entre féminismes américains et féminismes français, il y a un recours systématique au droit et à la justice que l'on retrouve aussi bien chez des féministes françaises, américaines ou canadiennes, et qui trouve un terrain favorable aux États-Unis et au Canada, mais pas en France, où la judiciarisation des conflits n'est pas le mode opératoire habituellement admis. Un des effets de cette affaire est peut-être la remise en question de cette pratique, si l'on veut qu'en effet le machisme ordinaire soit vraiment une chose du passé, en France aussi!

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Yolande Cohen - Historienne à l'Université du Québec à Montréal

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