Main-d'oeuvre médicale - Le Québec doit changer ses politiques de recrutement

Les dernières données fiables qui sont disponibles au Comité permanent sur la main-d’œuvre médicale au ministère de la Santé indiquent qu’il manque environ 1175 médecins de famille à temps complet au Québec.
Photo: Agence Reuters Lucas Jackson Les dernières données fiables qui sont disponibles au Comité permanent sur la main-d’œuvre médicale au ministère de la Santé indiquent qu’il manque environ 1175 médecins de famille à temps complet au Québec.

Ne pas avoir accès à un médecin de famille est un problème sérieux. Selon les preuves les mieux étayées, un médecin de famille à temps complet pose plus de 2000 diagnostics par année, ce qui se solde en une baisse de mortalité de 6 %, toutes causes confondues. De plus, les admissions dans les hôpitaux s'en voient réduites de 25 par 100 000 habitants, sans oublier que les soins prodigués par un médecin de famille en soins première ligne coûtent 33 % moins cher que ceux d'un médecin spécialiste.

Le dernier recensement de 2006 a démontré que la province de Québec avait le pourcentage le plus élevé de citoyens (27 %) sans médecin de famille au Canada. Fait surprenant, c'est à Montréal que l'accès était le pire, celui-ci se chiffrant à 33 %. Comparativement, le pourcentage était de 29 % dans le Grand Nord canadien et de 8 % à Toronto. Cela signifierait qu'environ 2 000 000 de Québécois et 600 000 Montréalais n'ont pas de médecin de famille.

Cette situation est étonnante si l'on pense que notre système de santé public a été mis en place il y a 50 ans et qu'il a été créé pour que toute la population puisse avoir accès à des soins de santé gratuits. De plus, il est étrange de constater qu'on interdise l'accès à un médecin de famille qui travaillerait dans un système privé parallèle, tout en rendant l'accès impossible à 27 % de la population au sein du seul système autorisé.

Déficit de médecins

Les dernières données fiables qui sont disponibles au Comité permanent sur la main-d'oeuvre médicale au ministère de la Santé indiquent qu'il manque environ 1175 médecins de famille à temps complet au Québec. Ce déficit a augmenté de 70 omnipraticiens depuis l'an dernier. On prévoit également que nous aurons besoin de 326 nouveaux médecins pour chacune des années 2011 et 2012, et de 360 nouveaux médecins par année de 2013 à 2016 simplement pour maintenir le même piètre niveau de services.

La politique du gouvernement actuel de limiter le recrutement dans chaque région prévoit un maximum de 255 nouveaux médecins de famille, ce qui représente 9 % de moins que la promotion d'omnipraticiens au Québec. La province de l'Ontario, par ailleurs, recrute 20 % de médecins de plus que le nombre de nouveaux diplômés. Le recrutement interprovincial et international fait également l'objet de restrictions sévères, ce qui fait que le Québec devient en fin de compte un exportateur net de médecins de famille.

À Montréal, où je dirige le Département régional de médecine générale de l'Agence de la santé et des services sociaux, nous recevons près de 400 demandes par année des établissements et cliniques à la recherche d'un médecin de famille. J'estime que nous avons besoin de 100 nouveaux médecins de famille simplement pour maintenir le niveau de services, mais nous sommes limités à 60 cette année. Nous avons refusé 30 candidats et le recrutement est également gelé dans les établissements.

Provenance des patients

Même la nouvelle entente avec la France ne nous aide pas, étant donné que les médecins français doivent passer par les mêmes postes que ceux qui ont déjà été pris par nos diplômés. Le comité de main-d'oeuvre médicale du ministre de la Santé estime qu'il y a un déficit de 260 médecins à temps complet à Montréal sur la base du nombre d'habitants sur l'île. Cependant, plus de 320 000 Québécois viennent travailler à Montréal chaque jour de la semaine et utilisent les services de 196 médecins à temps complet.

Dans certaines zones du centre-ville, deux tiers des patients dans les salles d'attente proviennent d'une région desservie par un autre CSSS. De plus, le manque de médecins spécialistes impose aux médecins de famille une demande croissante de prise en charge des responsabilités de leurs collègues dans les domaines de la psychiatrie, de l'obstétrique et des services en milieu hospitalier. Un manque de 400 médecins de famille à temps complet serait une évaluation plus réaliste.

Déclarations troublantes


Nonobstant ce qui précède, il y a périodiquement quelqu'un pour déclarer publiquement que nous avons suffisamment de médecins de famille, ce qui met immédiatement sa crédibilité en doute auprès de 27 % de la population du Québec. Ces déclarations devraient être immédiatement réfutées, car la plupart reposent sur des données erronées ou une surestimation des nouveaux programmes.

Même le moins cynique des Québécois réalise que le manque de médecins de famille nous a été infligé par les gouvernements des années 1990 résolus à équilibrer les finances publiques. Les économistes du domaine de la santé appellent cette tactique le contrôle de l'offre. Pour limiter les coûts du système de santé, il suffit de réduire l'accès au système et une réduction du nombre de médecins n'est qu'une façon efficace, bien que mercenaire, d'y parvenir.

Le vrai coût d'un médecin de famille ne se limite pas aux factures qu'il envoie au gouvernement. Il inclut également les 2000 diagnostics qu'il pose chaque année exigeant des investigations supplémentaires, puis des traitements. Au lieu de coûter 160 000 $ par année, un médecin de famille génère en fait des coûts de plus de 500 000 $. Le manque actuel de médecins de famille représente une économie de 584 millions de dollars par an pour le gouvernement. Bien sûr, cela veut également dire que plus de 2 millions de diagnostics sont ignorés ou retardés. Il est important de noter que les réductions d'effectifs médicaux ont été entreprises sans analyse d'impact sur la population, tandis que le gouvernement étudiera volontiers l'impact des barrages hydroélectriques sur les forêts.

Il est urgent de modifier notre façon de gérer les effectifs médicaux. Les restrictions sur le recrutement doivent être levées et des politiques de recrutement efficaces doivent être mises en place avec pour objectif de recruter au moins 10 % de médecins de plus que le nombre de nouveaux diplômés. Je crois fermement que la Ville de Montréal, à elle seule, une fois libérée de ces restrictions, pourrait recruter une centaine de médecins supplémentaires par année.

***

Mark Roper - Chef du Département régional de médecine générale à l'Agence de santé et des service sociaux de Montréal

À voir en vidéo