Journée mondiale de l'eau - L'eau ne coule pas comme il faut pour tous

Quelque 8 millions d’individus meurent chaque année des suites de maladies d’origine hydrique, soit pas moins de 15 personnes par minute.
Photo: Agence France-Presse (photo) Roberto Schmidt Quelque 8 millions d’individus meurent chaque année des suites de maladies d’origine hydrique, soit pas moins de 15 personnes par minute.

L'eau non potable tue plus que le cancer, le sida et la guerre réunis. Chaque année, 8 millions d'individus meurent des suites de maladies d'origine hydrique, soit pas moins de quinze personnes par minute. Parmi eux, 1,5 million d'enfants meurent annuellement de simples diarrhées directement attribuables à l'ingestion d'eau insalubre. Cette hécatombe silencieuse est non seulement dramatique, mais elle est aussi mal connue, surtout dans les pays riches, tant et si bien que les décideurs politiques ne se sentent pas tenus de prendre les mesures qui s'imposent pour l'enrayer.

Mais ce scandale humanitaire du XXIe siècle ne s'arrête pas là: 2,5 milliards d'individus n'ont pas accès à des toilettes dignes de ce nom, faisant courir à ces victimes un risque majeur de santé publique sans parler de l'atteinte quotidienne à leur dignité humaine.

Déjà affligés par des difficultés liées au remboursement de la dette, des fluctuations constantes des marchés financiers des pays riches, les termes inégaux de l'échange avec ces mêmes pays sans compter les crises politiques que traversent certains, nombre de pays en développement n'arrivent pas à répondre aux besoins en eau de leurs populations. L'avenir semble peu reluisant, la moitié de la croissance urbaine du monde étant prévue dans des bidonvilles sans infrastructures adéquates. Aujourd'hui, dans ces zones urbaines mal desservies, on paie plus cher l'eau que dans les zones mieux nanties: faute d'avoir son propre robinet, on s'approvisionne chez celui qui en a un, à un prix.

Investissement doublé

La croissance des besoins non satisfaits se poursuit inexorablement et, en dépit des promesses de Monterrey et de Johannesburg, les investissements indispensables pour trouver des réponses durables et rapides aux besoins en eau font défaut. La relégation au secteur privé des services d'eau potable et d'assainissement dans les villes, encouragée par de nombreux bailleurs de fonds, ne s'est pas révélée être la panacée proclamée. Les garde-fous que devaient représenter des organismes régulateurs, mis en place à la hâte et selon des modèles quasi uniformes, n'ont pas joué leur rôle de protection du consommateur, car ces organismes sont le plus souvent juges et parties.

Pour satisfaire l'Objectif du millénaire pour le développement (OMD) entre 2000 et 2015, c'est-à-dire pour diviser par deux le nombre de gens qui n'ont pas accès à l'eau et à l'assainissement, il s'agirait de doubler l'investissement actuel pour arriver à 1,22 milliard de dollars par an, et ce, sous forme de dons. Or l'eau productive, utilisée à des fins agricoles, énergétiques ou industrielles, et capable de créer des revenus, représente plus de 70 % de la consommation en eau des pays pauvres. Sans compter les bénéfices sanitaires évidents de l'eau potable et de l'assainissement, l'investissement en eau pour la production aurait d'importantes retombées économiques qui contribueraient à la croissance économique et la capacité des pays de subvenir à leurs besoins en eau et autres.

Droit d'accès à l'eau

Le droit d'accès à l'eau potable pour tous reconnu récemment par les Nations unies (d'abord par le Comité sur les droits économiques, culturels et sociaux lors de sa session du 28 novembre 2002 à Genève, puis officialisé en juillet 2010 par l'Assemblée générale des Nations unies) est un droit humain fondamental et inaliénable: chaque personne, quel que soit son niveau socioéconomique, doit pouvoir disposer de l'eau nécessaire à ses besoins essentiels et vitaux. Dans les pays qui se sont engagés à reconnaître ce droit, les plus vulnérables et les plus déshérités ont désormais la possibilité juridique de le faire valoir.

Ils doivent avoir également accès à l'eau productive et à des services adéquats d'assainissement en tenant compte de la nécessaire protection des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques. L'eau est un bien social, culturel et environnemental tout autant qu'un bien économique. Une meilleure organisation — publique — de la gestion des services et de l'entretien des installations, une participation des usagers et capacités locales dans les prises de décisions et une conscience environnementale sont indispensables. Car une gestion adéquate et durable de l'eau, ressource en quantité limitée et fragile, mais indispensable à la vie, nécessite une approche globale conciliant développement socio-économique, prise en compte des contraintes physiques et techniques et protection des écosystèmes.

Vision durable

L'eau et le développement durable sont ainsi indissociables. L'eau constitue un point d'entrée fondamental dans la mise en place de mécanismes décentralisés ou «horizontaux» qui encouragent le développement de l'organisation communautaire et la démarche citoyenne, en appui aux initiatives de base. L'eau productive contribue à la création d'emplois, favorise la participation communautaire et le développement durable, bien que ces aspects soient encore insuffisamment incorporés dans les programmes liés à l'eau et l'assainissement.

Le rôle essentiel des femmes dans l'approvisionnement, la gestion et la préservation de l'eau doit être pleinement reconnu. Ce sont les principales pourvoyeuses et gestionnaires de fait de la ressource. Il convient de leur donner les moyens et le pouvoir de participer, à tous les niveaux, aux prises de décision concernant les programmes de mise en valeur des ressources en eau. Du point de vue environnemental, l'eau est une ressource éminemment vulnérable à l'exploitation incontrôlée et à la pollution qu'il faut préserver pour les générations futures.

Une plate-forme internationale de surveillance citoyenne pour l'eau et l'assainissement devrait être un instrument d'arbitrage et d'appui fondé sur les principes d'équité, de solidarité et de contrôle citoyen. Elle serait destinée à jouer un rôle inconditionnel et désintéressé de «chien de garde» pour la sauvegarde des intérêts des populations, notamment des plus pauvres, en proposant des solutions alternatives et participatives, bien adaptées aux contextes socioculturels et aux capacités locales, respectueuses de l'environnement, dans un souci de développement humain durable et de garantie des droits d'accès.

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Claude Sauveplane - Ancien conseiller interrégional pour l'eau au Secrétariat des Nations unies et membre du conseil d'administration d'Action contre la faim Canada

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