Viticulture québécoise - La controverse SAQ-Suckling

M. Suckling aura rappelé aux Québécois qu’on peut faire de grands vins au Québec.
Photo: - archives Le Devoir M. Suckling aura rappelé aux Québécois qu’on peut faire de grands vins au Québec.

On a pu assister la semaine dernière à une levée de boucliers généralisée contre l'entente commerciale survenue entre la SAQ et James Suckling, l'ancien dégustateur-gourou du Wine Spectator maintenant à son propre compte.

Plusieurs de nos sommeliers et critiques de vin ont vu dans cette initiative une atteinte à leur réputation, et l'écoute ou la lecture de leur propos laisse voir un malaise assez évident. Je pense bien ne pas me tromper en affirmant que ces commentateurs ont senti leur expertise menacée et mise de côté au profit d'un étranger. Autrement dit, nul n'est prophète en son pays!

Je ne connais pas les dessous de l'entente SAQ-Suckling; je connais un peu par ailleurs les frustrations occasionnelles des chroniqueurs de vin à l'égard de la SAQ. Cette société constitue un monopole gigantesque dans le monde du vin et comme tout monopole, elle a les sabots un peu gros. Et faire des affaires avec un monopole est aussi une source de frustrations occasionnelles.

C'est peut-être ce qui explique que la venue d'un grand expert étranger a tant dérangé, parce qu'en soi, l'ouverture de la SAQ à M. Suckling ne remet en cause d'aucune façon la compétence reconnue des nôtres.

Consécration

Par ailleurs, la venue de M. Suckling aura peut-être donné un coup de pouce à la viticulture québécoise. Voici ce grand expert, reconnu mondialement, qui déguste à l'aveugle et à qui on présente des vins de partout, y compris du Canada et du Québec.

Depuis la semaine dernière, on peut voir sur son site des notes de 90 sur 100 ou plus attribuées à quatre vins élevés au Québec, dont deux du domaine Les Brome dont je suis propriétaire. C'est en quelque sorte une consécration, surtout quand on vous donne une telle note et qu'on y ajoute le mot «fascinating».

Comme producteur de vins au Québec, j'ai souvent eu l'impression de ne pas être un prophète dans mon propre pays. Lorsque nous faisons déguster nos vins dans certains cercles, nous, les producteurs au Québec, nous sentons la loupe du jugement s'épaissir.

Commentaires négatifs

Et, même si certains commentateurs ont commencé à parler de nous et même à l'occasion très favorablement, la majorité demeure ou indifférente ou carrément négative. Et lorsqu'ils sont favorables, ils le font sur le bout des lèvres, bien conscients qu'une cohorte importante de leur confrérie est fermée à l'idée de promouvoir les vins d'ici. Combien de commentateurs ai-je pris au piège en leur demandant de me nommer les vins québécois qu'ils ont dégustés après qu'ils eurent exprimé un commentaire négatif sur les vins québécois?

Parle-t-on à certains d'entre eux d'organiser une dégustation à l'aveugle où l'on opposerait nos vins à ceux de l'étranger qu'on reçoit au mieux un sourire désapprobateur. Encore récemment, on présenta à des critiques québécois des vins québécois et la conclusion générale était peu favorable, voire terne. Or, on avait exclu les meilleurs représentants de la viticulture québécoise, un peu comme si on jugeait de la viticulture française à partir du Pisse Dru et autres du même genre!

M. Suckling affirme qu'il y a au Québec d'«excellent wineries... producing quality wines»; c'est plus que tout ce que j'ai entendu. Venant d'un expert de grande renommée, il convient d'en prendre note. La venue au Québec de M. Suckling aura donc eu comme bénéfice de rappeler aux Québécois qu'on peut faire de grands vins au Québec. On peut donc espérer maintenant que notre presse aura moins de pudeur à en parler et à les faire découvrir. Merci à la SAQ!

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Léon Courville - Économiste et ex-président de la Banque Nationale, l'auteur exploite un vignoble

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