Dispositions anti-briseurs de grève - Les discussions sont enfin entamées!
Nées en 1977 pour assainir les conflits en voie de pourrissement et réparer le tissu social, les dispositions anti-briseurs de grève ne parviennent plus à atteindre leurs buts. Les réalités contemporaines du travail n'ayant plus grand-chose à voir avec celles de la fin du siècle dernier, force est de constater l'anachronisme de la loi. La longueur de certains conflits collectifs du travail en est la preuve.
Si les données statistiques doivent être analysées avec grande prudence dans la mesure où, le plus souvent, elles ne distinguent pas systématiquement les grèves des lock-out, font état de «jours-personne perdus», n'isolent pas les anciens conflits des nouveaux, ne mettent pas en exergue la taille des unités de négociation visées par exemple, ces données permettent de repérer l'existence de conflits durant plusieurs mois, voire plusieurs années.Aujourd'hui et demain, la Commission de l'économie et du travail de l'Assemblée nationale du Québec va recevoir en audition représentants du patronat, des syndicats et autres acteurs sociaux et experts. Elle va entendre les doléances de chacun afin d'évaluer la pertinence de moderniser le Code du travail, et plus particulièrement, ses dispositions 109.1 et suivantes consacrées aux briseurs de grève (applicables tant en cas de grève, qu'en cas de lock-out).
Différents points de vue
Quebecor, la Fédération des chambres de commerce du Québec, le Conseil du patronat et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante vont probablement prôner la liberté d'entreprendre et mettre en exergue l'excellence économique de leurs rangs mise en péril par un Code du travail faussant la sécurité contractuelle, en les empêchant de poursuivre pleinement leurs activités économiques en cas de lock-out.
Les syndicats — le Syndicat des travailleurs de l'information du Journal de Montréal, la Confédération des syndicats nationaux, la Fédération des travailleurs du Québec, la Centrale des syndicats du Québec, la Fédération nationale des communications et la Fédération des journalistes professionnels du Québec — vont certainement insister sur le déséquilibre du rapport de force entre les parties à la table de négociation collective et illustrer leurs propos par le tristement célèbre plus long conflit de l'histoire de la presse québécoise, à l'origine de l'actuelle démarche parlementaire.
Ailleurs au Canada
Le Québec n'est pas la seule province canadienne à avoir légiféré en la matière. Ainsi, le Manitoba et l'Île-du-Prince-Édouard interdisent le recours à des briseurs de grève permanents. La Colombie-Britannique proscrit l'utilisation de travailleurs bénévoles de remplacement. L'Ontario empêche le recours aux briseurs de grève professionnels. Le droit fédéral canadien interdit à l'employeur de faire appel à des travailleurs de remplacement afin de miner la capacité de représentation syndicale. Tant le Bloc québécois que le NPD ont proposé des modifications au Code canadien du travail, inspirées de son équivalent québécois. Ces projets n'ont pas abouti notamment en raison de pressions des représentants des milieux d'affaires.
Modernisation
Le projet de loi 399, présenté à l'Assemblée nationale l'automne dernier, propose de garantir la non-exécution du travail des lock-outés, tant à l'intérieur de l'unité de négociation qu'à l'extérieur. En clair, le projet vise à interdire à l'employeur de faire indirectement ce que la loi lui interdit de faire directement.
Ce que le droit ne dit pas... mérite aujourd'hui d'être précisé: comme les Pères de la Constitution évoquaient les bateaux à vapeur, le législateur de 1977 parlait d'établissement, loin d'imaginer l'évanescence des lieux de travail du XXIe siècle. S'il est interdit de faire exécuter le travail des lock-outés par d'autres travailleurs (à l'exception des cadres) au sein de l'établissement en conflit, il devrait aussi être proscrit de le faire de manière virtuelle, grâce aux nouvelles technologies ou par le biais de voiles corporatifs.
La modernisation des dispositions anti-briseurs de grève devrait aller plus loin et mettre l'accent, encore davantage, sur la conciliation, la médiation et l'arbitrage de différends, même si, en pratique, cela n'est pas la panacée. Il est également indispensable de majorer les sanctions en cas de violation de recours à des scabs: pensons-nous sérieusement qu'une amende de 1000 $ par jour d'infraction constitue un effet dissuasif?
Régime peu efficace
Au-delà des dispositions anti-briseurs de grève, notre Code du travail mériterait un sérieux dépoussiérage. La question d'établissement, sujet du projet de loi 399, est l'un des éléments qui devraient être au centre des débats. Au lieu de conserver une vision réduite, voire archaïque, de l'entreprise en pensant les règles en termes d'établissements et de petites structures, ne serait-il pas possible d'envisager l'entreprise comme un groupe industriel ayant des intérêts sociaux et économiques au service d'une même direction?
Partant, nos entrepreneurs travaillant si fort pour notre province seraient reconnus à leur juste mesure, de grandes puissances au service de notre nation, assumant du même coup la gestion des relations de travail au niveau macro-entrepreneurial.
Certes, notre régime juridique est peut-être le moins mauvais de tous les régimes canadiens provinciaux et fédéral confondus. Toutefois, il n'est plus assez efficace aujourd'hui, notamment en matière de conflits de travail. Pour s'en convaincre, il suffit de constater que 69 % des jours-personnes perdus en 2010 l'ont été en raison d'un lock-out. Espérons des débats parlementaires riches et fructueux pour ces 48 prochaines heures.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.