Échangeur Turcot - Vers un nouveau consensus

Un meilleur Turcot est encore possible.
Photo: - Le Devoir Un meilleur Turcot est encore possible.

Au cours des derniers jours, les Montréalais ont graduellement pris conscience de la supercherie dont ils ont été victimes. Tous savent maintenant que les projets d'établissement d'un tramway, d'un train de banlieue, d'un parc, d'une piste cyclable, de bâtiments à l'architecture audacieuse, d'un marché public et d'un nouveau Quartier du canal qu'on voit sur les illustrations du MTQ ne font pas partie de Turcot 2.0.

Aucun de ces projets n'a été planifié. Aucun budget ne leur a été affecté. Certains sont physiquement impossibles. D'autres exigeraient l'expropriation d'industries comme Kruger, rien de moins! Ce sont là pures vues de l'esprit, de belles images visant à dissimuler l'inavouable: Turcot 2.0 n'est qu'un échangeur à capacité accrue au coeur de Montréal. Prétendre qu'il s'agit d'un «projet de développement urbain dans un contexte de développement durable» est proprement odieux. Aurais-je personnellement avalisé cette tromperie pour pouvoir continuer à siéger au comité exécutif de la Ville, comme le maire Tremblay me l'a proposé, que je n'aurais plus été capable de me regarder dans un miroir.

Quoi d'autre?


La prochaine question qui se pose et que de nombreux citoyens m'ont posée est donc: «Que proposez-vous?»

Je propose un retour au consensus des milieux politique, urbanistique, communautaire, économique, culturel et environnemental montréalais. Je propose que nous retroussions nos manches et profitions des dix-huit mois qui nous séparent du début du chantier Turcot pour construire un vrai tramway en métal, et non un tramway numérique, dans l'axe Lachine-LaSalle-centre-ville. Je propose qu'on fasse enfin aboutir les projets de mise en place de la navette aéroportuaire, de construction de la gare Lachine sur la ligne de train de banlieue vers Delson et d'amélioration substantielle des trains de banlieue desservant l'ouest de l'île. Je propose l'aménagement de voies réservées pour autobus tout au long du corridor routier reliant l'ouest de l'île au centre-ville — et non uniquement sur un tronçon de trois ou quatre kilomètres au coeur de l'échangeur Turcot. Je propose, finalement, un Turcot 3.0 aux dimensions réduites et à la capacité moindre dans son axe est-ouest (A20 et A720).

Globalement, je propose une mobilité des personnes radicalement améliorée, assortie d'une diminution du trafic automobile sur l'échangeur et, de là, dans les rues de nos quartiers. Je propose que Montréal reprenne ainsi la voie d'une relance durable, comme l'ont fait Paris, Séoul, Londres, Stockholm, Lyon, Copenhague, San Francisco, Bordeaux, New York, Portland, Munich, Melbourne, Vancouver, Barcelone ou Strasbourg avant elle, en s'appuyant sur des moyens similaires.

Moment charnière

Ces propositions sont-elles utopiques? Non.

Dans l'histoire de toute ville se présentent des moments charnières qui procurent une occasion de changement. Montréal se situe à un tel moment.

Tout d'abord, le gouvernement du Québec entend investir six milliards de dollars pour reconstruire ou compléter le coeur autoroutier de la région métropolitaine: environ trois milliards dans la démolition-reconstruction du système 20-720-Turcot, deux milliards pour Notre-Dame et un milliard pour remplacer Bonaventure par une entrée de ville décente. Le défi est de le convaincre d'investir autrement cette somme fantastique.

Deuxièmement, toutes les politiques adoptées à Québec et à Montréal depuis dix ans prétendent aller dans le sens du développement durable, de l'amélioration de la santé publique, de la lutte contre l'étalement urbain, de la promotion du transport collectif et de la lutte contre les changements climatiques. Jusqu'ici, ce ne furent là que des mots. Le défi est qu'ils deviennent réalité.

Troisièmement, nous avons enfin pris conscience de l'extraordinaire potentiel de développement que recèle le coeur de Montréal. Le Grand Griffintown, le Quartier de la falaise proposé par Montréal, le site de Radio-Canada et la somptueuse entrée maritime de Montréal pourraient accueillir à eux seuls 23 000 logements. Cela combiné aux centaines d'autres terrains vacants, de plus petite taille, et à la reconversion programmée de nombreux immeubles tels l'hôpital Royal-Victoria, il est permis d'envisager l'ajout de 50 000 logements pouvant accueillir 100 000 habitants dans le grand centre-ville de Montréal. Le défi est de faire de celui-ci un lieu agréable où vivre, où élever une famille même.

Plein potentiel

Où se réalisera cet extraordinaire potentiel de développement sociodémographique et économique? Où les 25 milliards de dollars que représente l'accueil de 100 000 nouveaux habitants seront-ils investis? Ce sera soit au coeur de Montréal, soit à Mascouche, à Boisbriand, à Saint-Constant et à Sainte-Julie. La raison même de mon entrée tardive en politique est de créer les conditions de réalisation du plein potentiel de Montréal, plutôt que d'assister béatement à l'exode de classes moyennes montréalaises vers les banlieues.

Tout dépendra des décisions qui seront prochainement prises en matière de mobilité des personnes. Le projet du MTQ de reconstruire et de compléter les trois autoroutes donnant accès au centre-ville confirme qu'aux yeux du gouvernement du Québec, c'est dans les banlieues lointaines que le potentiel de développement de Montréal doit être redirigé. Si le gouvernement provincial appuyait plutôt une stratégie de type Living First, façon Vancouver, ce qui implique de miser résolument sur les transports collectifs de haut niveau, le coeur de Montréal deviendrait à son tour une référence mondiale pour sa beauté, sa qualité de vie et son dynamisme économique.

Le concept que la Ville a rendu public en avril dernier mettait à profit ce moment charnière pour relancer Montréal. Sur le fond, il était en tous points conforme aux propositions que j'énonce ci-dessus. Sur la forme, les urbanistes de la Ville ont dessiné un échangeur circulaire. D'autres préconisent une fort prometteuse tour à haubans. Répétons-le, cet aspect est tout à fait secondaire à cette étape-ci.

La Proposition Montréal aurait dû amener le MTQ à revoir complètement son projet Turcot à la lumière des objectifs des Montréalais. Elle a été rejetée sous le prétexte qu'il fallait agir d'urgence et qu'elle ferait grimper les coûts à 6 milliards de dollars. [...]

Un virage vers les transports collectifs électriques de haut niveau est encore possible. Un meilleur Turcot est encore possible. Il faut d'urgence revenir au consensus réel qui existe à Montréal, sur les objectifs, et mettre nos meilleurs cerveaux à contribution pour créer un nouveau consensus sur les moyens à utiliser et les façons de les financer. C'est à l'atteinte de ce but que Projet Montréal consacrera tous ses efforts au cours des mois à venir.

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Richard Bergeron - Chef de la deuxième opposition à l'Hôtel de Ville et chef de Projet Montréal

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