Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage!
Le ministère des Transports du Québec a dévoilé la nouvelle mouture de son projet visant la reconstruction du complexe Turcot plus tôt cette semaine. Or le projet présenté doit être profondément modifié avant d'être à la hauteur des attentes des Montréalais et de leur droit à la santé et à la sécurité.
Mon intérêt pour le transport est tout personnel. La semaine prochaine, il y aura six ans que mon bébé de 10 mois a été heurté par une automobile à deux coins de rue de chez moi, à Montréal. La croissance incessante de la circulation automobile amène inévitablement un niveau inacceptable de blessures et de décès, en plus des problèmes cardiorespiratoires et autres engendrés par la pollution atmosphérique et l'émission des gaz à effet de serre (qui sont à Montréal imputables pour moitié au transport) — sans parler de la congestion qui paralyse la ville deux fois par jour. Sans réduction de la circulation automobile, les beaux discours sur le développement durable ne sont que cymbales qui résonnent.Poudre aux yeux
La bonne nouvelle, c'est qu'on peut assurer (et même améliorer) la mobilité des personnes et des marchandises tout en faisant des gains au chapitre de la santé: le MTQ doit intégrer dans son projet les transports collectifs performants et les mettre en place dès maintenant. La courte voie réservée proposée, qui ne se prolonge pas jusqu'à destination du centre-ville, n'est que de la poudre aux yeux!
La solution durable ici, celle qui est aussi cohérente avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, est d'offrir, dès maintenant, les transports collectifs dont on entend parler depuis des lunes (navette ferroviaire, trains de banlieue améliorés, tramway vers Lachine et LaSalle, service d'autobus bonifié, etc. —, lesquels sont évoqués dans le discours, mais ne sont nullement planifiés ni budgétés dans le projet annoncé).
En tenant compte de ces modes de déplacement, la capacité routière de l'échangeur pourra être réduite dans les plans, et ce, avant que le béton soit coulé et que l'on ait dépensé trois milliards de dollars, pas après! Et serait-il possible d'utiliser le budget alloué de façon créative pour bonifier les transports collectifs? Est-ce vraiment essentiel de reconstruire le tronçon d'autoroute longeant la falaise Saint-Jacques et de déplacer les voies ferrées existantes? On économiserait combien en «faisant avec»?
Contribution à l'économie
Certains qualifieront d'utopiste ou d'idéologique l'objectif de réduire significativement le nombre de déplacements en voiture en priorisant (en faisant passer en premier!) le développement d'un système de transport efficace. Au contraire, cette option comporte une rationalité économique de première importance. Je termine donc en citant la conclusion d'un excellent rapport de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain datant de décembre 2004.
«Un secteur des transports efficace est à la fois un facteur de compétitivité et de richesse pour la région de Montréal. La mobilité des individus et des marchandises demeure en effet un élément crucial de l'économie montréalaise. Or, un bon système de transport en commun facilite cette mobilité, tout en rendant la région plus attrayante en termes de qualité de vie. Pour pleinement tirer avantage du transport en commun, il importe cependant que ce réseau attire un maximum d'utilisateurs et, pour ce faire, il doit être accessible et attirant. [...] il serait préjudiciable de négliger ou de marginaliser ce système de transport. Sa contribution à l'économie d'une région comme Montréal est trop significative. Et les prochaines années ne feront qu'accroître la contribution du transport en commun. L'importance de la qualité de vie dans l'économie du savoir, l'urbanisation accrue, les préoccupations énergétiques et le vieillissement démographique sont autant de facteurs qui militent en faveur d'un bon système de transport en commun.»
Idéologique? Utopique? Moi, j'appelle ça, le gros bon sens! Monsieur le ministre Hamad, remettez votre ouvrage sur le métier. Il faut agir vite. Nous avons encore le temps.
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Dominique Sorel - Membre du comité de direction du projet Quartier vert, actif et en santé du Centre d'écologie urbaine de Montréal
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