Science et politique étrangère - Notre avenir passe par la diplomatie scientifique

L'échec récent du gouvernement canadien à obtenir un siège au Conseil de sécurité de l'ONU a généré une controverse dans les cercles diplomatiques et parlementaires, de même qu'au sein de la population canadienne. La question que tous se posent est: comment se fait-il que le Canada, citoyen du monde par excellence, ait perdu sa place au profit du Portugal (le Canada ayant obtenu, au deuxième tour du vote, l'appui de 78 pays contre 113 pour le Portugal), marquant ainsi le premier échec de l'histoire du Canada à ce chapitre?
La plupart des observateurs, érudits et moins érudits, ont pu palper l'angoisse des analystes. Mais plutôt que de s'attarder sur les raisons de cet échec, sur ce que le Canada a fait ou n'a pas fait, je suis d'opinion que nous devrions explorer comment le Canada pourrait réinventer sa politique étrangère afin de préserver ses intérêts, tant ici qu'à l'étranger. À titre de président de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes, je propose que le Canada concentre ses efforts sur le pouvoir émergeant de la science et de la technologie comme nouvelle avenue de diplomatie.La science se trouve à être l'un des moteurs les plus puissants de la mondialisation. Les défis les plus importants de notre génération y sont liés: le changement climatique, la santé globale, la sécurité alimentaire, les OMG, la prolifération nucléaire, pour n'en nommer que quelques-uns. Il n'est donc pas surprenant que le président américain Barack Obama ait déclaré que la science est la solution aux enjeux de notre temps. Dans la même veine, l'ancien premier ministre britannique Gordon Brown a dit: «Il est important que nous puissions créer un nouveau rôle pour la science dans le domaine de la diplomatie et de l'élaboration des politiques étrangères [...] de mettre la science au coeur de l'ordre du jour international progressif.»
Science diplomatique
La Maison-Blanche de même que Downing Street ont priorisé la science dans leurs stratégies diplomatiques. Donc, la diplomatie scientifique est en voie de se positionner au centre des relations internationales. La mise sur pied d'un nombre croissant de projets scientifiques coopératifs, le pouvoir d'influence (soft power), les délégations scientifiques à Cuba et une tentative poussée de collaboration avec le monde islamique ne sont que quelques exemples des initiatives qui sont explorées actuellement.
Tout récemment, l'American Academy for the Advancement of Science et le UK Science Policy Center ont établi des programmes de science diplomatique. De l'autre côté du globe, la Chine, dont le pouvoir est émergeant, utilise la diplomatie scientifique depuis déjà une décennie. Elle a déjà signé des ententes d'échange scientifique et technologique avec plus de 100 pays!
Ces exemples démontrent qu'il y a de nouveaux facteurs qui affectent la politique étrangère et qu'il faut diversifier les avenues, en utilisant la science et la technologie par exemple, afin d'affronter les obstacles auxquels le monde fait face. D'ailleurs, de nouveaux acteurs d'importance commencent à abonder en ce sens, dont des ONG, des scientifiques et les médias.
Langage scientifique
Les défis cruciaux contemporains, tels que les changements climatiques, la prolifération nucléaire et la santé mondiale, ne peuvent être discutés sans la participation d'experts scientifiques qui s'expriment dans le langage universel de la science. Les organisations scientifiques deviennent une partie intégrante de la diplomatie: des académies scientifiques au sein des pays du G8 n'hésitent plus avant de formuler leurs opinions sur des sujets variés qui touchent les relations internationales. Par exemple, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a été établi pour offrir une opinion scientifique sur les changements climatiques et s'est vu décerner le prix Nobel de la paix en 2007, qu'il a d'ailleurs partagé avec Al Gore.
Le cas de l'Arctique fait également figure d'exemple démontrant les bénéfices de la diplomatie basée sur la science. En effet, la science s'est avérée un facteur positif dans les négociations entre les nations en compétition, car au lieu de se résoudre à la politique de la canonnière, les scientifiques ont guidé les États à adopter un mode décisionnel collaboratif, informé et soutenu par des structures politiques et économiques multilatérales.
Le Canada est-il prêt?
La principale question est de savoir si le Canada est prêt à engager notre communauté scientifique et technologique dans l'élaboration de sa politique étrangère. De plus, il faut se demander comment utiliser les vastes ressources scientifiques ainsi que notre expertise canadienne. Où commencer? Le Canada a, en effet, une fière tradition marquée par sa participation aux affaires étrangères — à titre de gardien de la paix, le Canada est une puissance moyenne de confiance, un allié de l'OTAN et de l'ONU.
Ici, à la maison, nous ouvrons nos portes au monde entier et promouvons un modèle de multiculturalisme et de tolérance. Ceci est un de nos grands atouts. Grâce à cette ouverture, le Canada jouit d'une grande concentration de talents. Nos institutions, telles que le CRDI, l'ACDI, et le nouveau Grands Défis Canada, qui est dédié à améliorer les conditions de santé globale au moyen de l'innovation intégrée, font partie de la tradition canadienne de contribution à l'avancement de la science et de la technologie dans le monde entier.
De plus, notre positionnement sur la scène internationale en tant que partenaire de choix fait du Canada un catalyseur remarquable pour la coopération internationale. En effet, comme nous accueillons les plus grands talents scientifiques par milliers, qui ont choisi le Canada comme terre d'accueil, les membres de la diaspora scientifique peuvent établir une collaboration avec leur pays d'origine. Compte tenu de la force de l'infrastructure scientifique canadienne, plusieurs organisations mondiales se tournent vers le Canada afin d'y trouver un partenaire sans égal.
Que doit-on faire pour que les Canadiens bénéficient de cette situation? Premièrement, nous avons besoin d'une nouvelle vision de la politique étrangère qui établit la science comme pilier fondamental du monde d'aujourd'hui et qui cultive une culture de diplomatie scientifique. Deuxièmement, ces vastes ressources de talent et d'expertise canadienne doivent être organisées et utilisées comme moteur de cette diplomatie. Nos ambassades doivent recevoir leur information de ces nouveaux diplomates scientifiques et non plus seulement d'officiers scientifiques, qui, sous le système actuel, ont souvent très peu d'expertise.
Nous pouvons nous servir des modèles qu'utilisent d'autres pays. Par exemple, le gouvernement britannique a mis sur pied un réseau international de science et d'innovation (SIN) qui sert à relier la politique étrangère avec la science, et ce, dans plus de 25 pays. Ici, au Canada, nous pourrions adapter ce modèle à notre système.
Dorénavant, les scientifiques canadiens doivent être impliqués dans les projets multilatéraux de science afin de contribuer à faire avancer les négociations diplomatiques. En exploitant notre potentiel scientifique à un niveau international, le Canada pourra améliorer sa réputation dans le monde, en plus de gagner du prestige et du pouvoir dans l'arène diplomatique. Notre leadership dans le dossier de l'Arctique démontre que le Canada est capable de se démarquer sur la scène internationale.
Agir maintenant
L'Afghanistan pourrait être le prochain exemple de cette capacité scientifique formidable. En effet, le Canada pourrait adopter une nouvelle approche préconisant l'avancement de la science et de l'éducation dans ce pays. Notre premier ministre devrait nommer un «émissaire scientifique» afin d'entamer des discussions de haut niveau dans le domaine de la coopération scientifique et technologique. Cette personne pourrait aussi inciter la communauté scientifique ainsi que nos établissements universitaires à jouer un rôle croissant dans le développement scientifique en Afghanistan. Ce modèle pourrait ensuite être adopté dans d'autres pays auxquels le Canada vient en aide, notamment les pays du Pacifique et de l'Amérique latine.
Enfin, le XXIe siècle sera celui du rayonnement de la science à une échelle globale, et le Canada a tout ce qu'il faut pour jouer un rôle déterminant dans ce processus. Les Canadiens ont cependant besoin de la vision gouvernementale nécessaire, non seulement pour établir un programme scientifique international, mais surtout pour entamer la mise en oeuvre d'un tel projet. Lors du prochain scrutin du Conseil de sécurité de l'ONU, la diplomatie scientifique canadienne pourrait avoir un impact, mais seulement si nous agissons dès maintenant.
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Traduit de l'anglais, ce texte fut d'abord publié sur le site The Mark (www.themarknews.com).
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Mehrdad Hariri - Président de la Conférence sur les politiques scientifiques canadiennes
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