Et le gagnant est?

L'Histoire est là pour rappeler que les élections de mi-mandat, avec leur faible taux de participation, tandis que l'on ne renouvelle pas la totalité des deux Chambres, ont une importance toute relative à terme. Le président, dans un système de séparation stricte des pouvoirs, conserve une certaine marge de manœuvre constitutionnelle avec son droit de veto (qui ne peut être renversé que par une majorité des deux tiers de chaque chambre) et une certaine marge de manœuvre politique, car il peut toujours user de son pouvoir de persuader.

Ainsi, aucun des deux grands partis ne sort totalement vainqueur — ou perdant — de cette élection qui consacre pourtant trois grands gagnants: l'argent, le Tea Party et, dans une certaine mesure, les femmes.

L'argent

Au terme d'un des cycles électoraux les plus coûteux de l'histoire américaine, les candidats au Congrès ont recueilli près de 1,6 milliard de dollars. 2010 aura connu des records: 45 millions en Californie (où s'opposent Barbara Boxer et Carly Fiorina), 54 millions au Connecticut (où la républicaine Linda McMahon écrase littéralement son adversaire démocrate) ou encore près de 150 millions dans la course pour le poste de gouverneur de la Californie.

Toutefois, si les dons que reçoivent les candidats et les comités de partis sont plafonnés, tel n'est pas le cas des groupes indépendants évoqués dans le code fiscal à l'article 501(c): ces groupes sans but lucratif dont l'objet premier ne peut être la politique (sic) peuvent accepter des dons illimités et n'ont pas à dévoiler la liste de leurs donateurs. Cette nouveauté est l'oeuvre de la Cour suprême des États-Unis qui, dans son jugement Citizens United v. Federal Election Commission de 2010, a ouvert les vannes du financement par les entreprises.

Au total, les dépenses de ce cycle électoral pourraient flirter avec les 4 milliards de dollars, dont une grande partie vient désormais des entreprises. Et parmi les multinationales qui contribuent, les plus importantes sont... européennes. À commencer par des entreprises pharmaceutiques (réforme de la santé oblige), comme GlaxoSmithLine, ou Bayer Corp. Parmi les groupes américains, ce sont les groupes de retraités et les firmes d'avocats qui investissent chacun plus de 100 millions de dollars tandis qu'à titre d'exemple, la National Rifle Association traîne loin derrière avec 7 millions.

Le Tea Party

La révolte populiste du Tea Party n'est pas un mouvement, comme a pu le constater le Washington Post en octobre 2010 au terme d'une longue étude menée dans la nébuleuse du Tea Party, mais bien une tendance. Seule organisation parapluie à pouvoir revendiquer un effet centripète sur les Tea Partiers, les Tea Party Patriots peinent à montrer autant de membres qu'ils en revendiquent. Les groupes qu'ils fédèrent vont de 1 à 1500 personnes, sont «masculins-blancs-sudistes-peu éduqués» ou au contraire majoritairement féminins, tour à tour d'extrême droite ou centre droit, institutionnalisés ou réunis en comités de cuisine, proche de la droite chrétienne ou pas.

En d'autres termes, la mouvance du Tea Party s'étire sur l'intégralité du spectre du conservatisme américain et évite les sujets contentieux (ce qui conduit le Pew Research Center à le qualifier, contrairement aux idées reçues, de «non biblique») pour se concentrer sur un plus petit dénominateur commun articulé autour d'un gouvernement minimal, de la protection des frontières et de la Constitution.

Gagnant, le Tea Party l'a été indéniablement durant ce cycle électoral. Ce qui n'était qu'une idée a bénéficié d'un double effet démultiplicateur: l'effet Palin généré par la campagne schizophrène de 2008 et l'amplification médiatique du réseau Fox. Si le Tea Party a constitué un écran de fumée avantageux pour le Parti républicain pour occulter le fait que les déficits budgétaires abyssaux étaient l'oeuvre de George W. Bush, il finit par coûter cher au parti, en sièges perdus, mais aussi, à terme, en réalignement politique du programme conservateur.

Les femmes


Les membres du Tea Party ne se donnent aucun leader. Seule Sarah Palin est le plus souvent mentionnée dans les sondages comme meneur potentiel — avec plus de sept points d'avance sur Glenn Beck. De fait, la génération Y paraît trouver sa voix dans un univers traditionnel masculin. Plus contemporain que des groupes comme Emily's List, la National Federation of Republican Women ou la Susan B. Anthony List, un mouvement comme Smart Girls Politics créé en 2008 est abondamment twitté. De même, au cours de la dernière semaine de campagne, Christine O'Donnell et Sarah Palin ont caracolé en tête des éléments blogués selon le PEJ New Media Index du Pew Research Center.

Même si, une fois tous les résultats dépouillés, la représentation des femmes n'aura pas progressé de manière significative, il demeure qu'au cours de cette campagne, les femmes ont trouvé, dans le sillage de l'effet Clinton-Palin, une brèche dans une digue politique traditionnellement masculine en surfant sur une vague contestataire. Le fait que Lynda Lovejoy puisse aspirer de façon réaliste à prendre la tête de la nation Navajo en Arizona face à Ben Shelly, vice-président sortant, en atteste. C'est aussi le cas de Christine O'Donnell dont la percée a sidéré l'establishment républicain. Cela sans oublier qu'elle doit son avènement à une autre femme, Sarah Palin qui, en l'état actuel des choses, incarne le «rêve» républicain. Et cette dernière paraît se dessiner comme l'une des grandes gagnantes de ce cycle électoral, sinon l'une des figures majeures du prochain.

Obama perdant, vraiment?


Un alignement politique du Congrès et de la présidence n'est pas forcément gage de réussite. D'un côté, Reagan, Bush père et Clinton ont tous eu à composer — et ont réussi — avec une à deux Chambres opposées à eux. De l'autre côté, la présidence Carter, pourtant appuyée sur un Congrès démocrate, a sombré au terme d'un unique mandat.

De surcroît, trois fois au cours du dernier siècle, Truman, Eisenhower et Clinton ont perdu une Chambre lors des élections de mi-mandat et ont pour autant été réélus: il est donc encore trop tôt pour évaluer les chances de succès du président Obama. D'autant que c'est un tout nouveau congrès qui se réunira en janvier prochain.

En l'absence de ténors comme Ted Kennedy qui, en raison de sa connaissance des arcanes de la législature était capable d'aller chercher des soutiens chez les républicains, le Parti démocrate voit sa capacité à construire un consensus en son sein et au-delà, décliner. Du côté républicain, les Tea Partiers ne devront rien à l'establishment républicain qui ne les a pas appuyés. Le Congrès n'en sera donc que plus volatile. C'est au président d'apprendre à jouer de ces dissensions pour son bénéfice.

De ces élections, il faudra surtout retenir que les indépendants — ceux qui ne se déclarent proches d'aucun parti et détiennent les clés des élections — sont plus nombreux que jamais: ils surpassent pour la première fois le nombre de ceux qui se disent affiliés aux partis. Et ils sont mécontents: cela va faire trois élections qu'ils se prononcent contre le parti en place. De cela les stratèges politiques des deux bords sont conscients et jamais, dans cette perspective, la présidentielle de 2012 n'a été aussi proche.

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