Fusion des fonds de recherche - Logique comptable ou commerciale?
Pourquoi fusionner les trois fonds qui subventionnent la recherche et la formation au Québec? Tous les observateurs ont relevé le fait que cette opération, décidée à la faveur du dernier budget, avait été réalisée sans consultation et sans analyse préalable, et qu'elle risquait de mettre à mal des institutions performantes, innovatrices et appréciées.
Nous pourrions ajouter que, pour les sciences sociales et humaines, les arts et les lettres, qui disposaient avec le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) d'un formidable instrument de concertation et de mobilisation, cette fusion apparaît aussi comme une perte nette, qu'il semble difficile d'expliquer.Pilotés par des conseils d'administration composés de chercheurs représentant différentes disciplines et des façons diverses de faire de la recherche, les trois Fonds avaient mis en place des structures institutionnelles souples, à l'écoute du milieu et propices à l'innovation. Encore toutes jeunes, ces structures avaient créé un environnement de recherche cohérent et sensible à la diversité des pratiques, faisant la différence entre, disons, la recherche en médecine, en génie des matériaux et en littérature comparée. [...] Pourquoi risquer de défaire tout cela?
Chercher ailleurs
Logique comptable, suggérait cette semaine un éditorialiste du Devoir. Peut-être. Dans un budget annoncé au préalable comme le début d'une «révolution culturelle», il fallait bien faire tomber quelques organismes.
Mais on parle ici de bien piètre comptabilité, qui met de côté les contributions bénévoles et enthousiastes des meilleurs chercheurs du Québec et se passe de toute évaluation raisonnée et chiffrée. Il faut savoir aussi que les trois fonds mettaient déjà des ressources en commun, pour assurer la gestion des programmes de façon efficace.
Nous pensons que c'est ailleurs qu'il faut chercher la logique mise en oeuvre avec cette opération. En effet, à peu près en même temps qu'il annonçait la fusion des trois fonds de recherche, le gouvernement du Québec dévoilait une nouvelle stratégie pour la recherche et l'innovation, dans un document intitulé Mobiliser, innover, prospérer.
Tout dans ce document se rapporte à la productivité et à la compétitivité. Le Québec, dit le premier ministre Jean Charest dans son mot d'introduction, «doit compter sur la synergie entre les entreprises, les établissements d'enseignement et les centres de recherche pour créer davantage de richesse». C'est en innovant, ajoute le ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Clément Gignac, «que le Québec va conquérir de nouveaux marchés». Le reste est à l'avenant. Le développement ici est toujours économique et commercial, et jamais social ou culturel.
Refuser ce recul
Les sciences sociales et humaines, les arts et les lettres n'ont pratiquement aucune place dans cette nouvelle stratégie, qui conjugue la recherche surtout avec la technologie. Faut-il s'étonner, alors, qu'un fonds dédié à ces disciplines apparaisse dorénavant inutile? Pourquoi maintenir un instrument qui permet aux chercheurs de ces secteurs de s'exprimer, de se mobiliser et de s'organiser, si on peut tout amalgamer sous la supervision d'un «scientifique en chef du Québec», qui pourra tout coordonner en gardant à l'esprit la création de richesse?
Quand le ministre des Finances, Raymond Bachand, a annoncé une «révolution culturelle», il évoquait, probablement sans le vouloir, un moment fort sombre de l'histoire humaine, que l'un des grands historiens de notre époque, Eric Hobsbawm, a qualifié de «campagne contre la culture, l'éducation et l'intelligence sans parallèle dans l'histoire du XXe siècle».
Bien sûr, le Québec n'est pas à l'aube d'une telle révolution. Mais la mise à plat et le reformatage de nos plus belles institutions de recherche, au nom d'une vision simpliste et étriquée du développement économique, n'augure rien de bon. Les chercheurs de toutes les disciplines devraient refuser ce recul, que rien ne justifie.
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Alain Noël et Monique Régimbald-Zeiber - Professeurs au Département de science politique de l'Université de Montréal et à l'École des arts visuels et médiatiques de l'Université du Québec à Montréal, les auteurs ont été tour à tour, entre 2006 et 2010, vice-présidents du conseil d'administration du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC).