La fausse pénurie d'enseignants

En parle au Québec depuis quelques années d'une certaine pénurie d'enseignants, plus particulièrement dans quelques domaines de l'enseignement: arts, musique, éducation physique au primaire, sciences et mathématiques au secondaire. Cette pénurie amène divers candidats à espérer obtenir le plus rapidement possible un poste d'enseignant. Dans ce contexte, certains médias se font les porte-parole de candidats mécontents de la durée de la formation pédagogique obligatoire, qui est de quatre ans, imposée au Québec aux futurs enseignants.

En effet, ces candidats, provenant souvent de facultés disciplinaires et ayant en poche un baccalauréat de trois ans en sciences, en mathématiques, etc. voudraient bien éviter de « refaire » une formation pédagogique de quatre ans et pouvoir enseigner immédiatement. L'argument principal de ces candidats est le suivant: une formation disciplinaire de trois ans suffit à garantir la compétence des futurs maîtres. À quoi bon alors se « taper » une autre formation de quatre ans en pédagogie, d'autant plus que la pénurie actuelle semble réclamer l'engagement rapide de nouveaux enseignants?

Prenant exemple sur ce qui se fait ailleurs au Canada anglais, ces diplômés crient à l'injustice. Ils veulent réduire au minimum leur formation pédagogique en contournant ainsi la voie normale de quatre ans suivie par tous les futurs enseignants du Québec. Pour obtenir un emploi, ils croient avantageux d'apprendre leur métier sur le tas, par essais et erreurs, et tant pis pour les élèves qui leur serviront de cobayes dans cet apprentissage par tâtonnement.

Fausse alerte?

Qu'en est-il réellement de la pénurie d'enseignants? En réalité, depuis les années 1980, la profession enseignante au Québec n'est pas en situation de pénurie, mais bien de pléthore, ce qui se traduit par une précarité importante et constante touchant depuis trente ans autour de 40 % d'enseignants. Selon les plus récentes données du ministère de l'Éducation (2008), 45 % des enseignants travaillant pour les commissions scolaires ont un statut précaire. Ces dernières années, à peine 6 % des diplômés en enseignement obtiennent un emploi régulier au début de leur carrière.

Environ 55 000 enseignants ont un poste permanent dans le système scolaire, tandis que 20 000 enseignants ne sont pas permanents et que 16 000 autres enseignants ont des tâches d'appoint (enseignants remplaçants, enseignants surnuméraires, enseignants suppléants, etc.). Bref, on parle ici de 36 000 personnes vivant diverses situations de précarité. De plus, l'évolution de la natalité au Québec ne laisse pas espérer une ouverture générale du marché du travail enseignant. Au contraire, le ministère prévoit que les commissions scolaires du Québec connaîtront une baisse de près de 10 % de leur clientèle d'ici 2021. Cela représente pour la prochaine décennie une baisse de près de 90 000 élèves.

Revendication injuste

La précarité reste et restera donc le lot d'un nombre important de jeunes enseignants. En définitive, il faut faire très attention lorsqu'on parle de pénurie: la réalité, c'est que les étudiants en formation des maîtres et les enseignants diplômés qui occupent actuellement des postes précaires suffiront amplement à couvrir, dans les prochaines années, tous les besoins de recrutement.

Il en découle que la revendication consistant à raccourcir la formation pédagogique pour avantager certains candidats, lesquels se découvrent subitement une passion pour l'enseignement, tout en refusant de se former pour ce travail, est profondément injuste pour les milliers de jeunes hommes et femmes du Québec qui suivent une formation pendant quatre ans en pédagogie et qui ensuite aspirent à obtenir un poste d'enseignant. Au fond, cette petite minorité, qui crie à l'injustice, veut tout simplement passer par-dessus la tête de la majorité et accéder, avec une formation au rabais, aux rares emplois précaires disponibles.

Je trouve odieux que certains médias se fassent les porte-parole de cette minorité en oubliant de la sorte l'injustice qui serait faite à la majorité des étudiants universitaires en formation des maîtres au Québec. Je rappelle que ces étudiants ont choisi l'enseignement comme première profession, ce qui n'est pas le cas des autres, et qu'ils ont accepté de respecter le modèle de formation préconisé par l'État québécois. Au nom de quel principe de justice les étudiants en pédagogie, pendant qu'ils se forment à l'université, devraient-ils voir se réduire leur chance d'obtenir un emploi au profit de personnes qui refusent de respecter les règles du jeu instituées par la province de Québec?

Formation étoffée

Car, n'en doutons pas, c'est bien de cela qu'il s'agit ici: la réduction des exigences de la formation des maîtres sous prétexte d'une fausse pénurie. Mais si une telle réduction est vraiment raisonnable, pourquoi alors ne pas l'appliquer à l'ensemble des professions du Québec qui exigent une longue formation universitaire? Par exemple, tout le monde sait que nous manquons cruellement de médecins et de professionnels de la santé: ouvrons donc les portes des hôpitaux aux personnes sans formation médicale, qui finiront bien par apprendre leur travail sur le dos des patients. Le Québec a besoin d'ingénieurs, de chimistes, de biologistes, de pharmaciens, etc.? Aucun problème, engageons des personnes sans formation qui feront aussi bien le travail, non?

La vérité, c'est qu'il n'existe plus au Québec, comme ailleurs, de professions établies sans formation universitaire étoffée et de longue durée. À ce propos, les exemples tirés de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique sont particulièrement trompeurs, car il existe au Canada anglais plusieurs types de programmes de formation dont les durées sont très variables, d'une à quatre années; de plus, les étudiants qui optent pour l'enseignement suivent dès leur baccalauréat disciplinaire des cours de pédagogie. Enfin et surtout, en Ontario et en Colombie-Britannique, l'enseignement est régi par des ordres professionnels et la formation continue y est obligatoire tout au long de la carrière enseignante, ce qui n'est pas le cas au Québec.

Revaloriser la profession

Bref, la formation d'un enseignant ontarien suit un chemin différent de celui de la formation d'un enseignant québécois, mais au bout du compte, elle est aussi longue. Enfin, j'ajoute que dans l'ensemble des pays de l'OCDE, la formation des enseignants suit partout la même évolution: elle s'allonge et se densifie de plus en plus, car les défis que devront relever l'école et la profession enseignante sont de plus en plus nombreux et difficiles.

Au Québec, le véritable enjeu actuel n'est pas du tout de réduire les exigences de la formation des maîtres. Il s'agit plutôt de revaloriser la profession enseignante, de la rendre plus attractive pour les étudiants et de pouvoir offrir à ces derniers, dès le début de leur carrière, des mesures de soutien afin qu'ils persistent dans leur profession. Une profession pour laquelle il ne vaut pas la peine de se former ne vaut pas la peine qu'on s'y dévoue.

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