La Caisse a été frappée par une «tempête parfaite»

Voici un extrait de la conférence prononcée hier par l'ex-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec, M. Henri-Paul Rousseau.

Le 25 février, la Caisse de dépôt a publié ses résultats pour l'année 2008. Ces résultats ont semé l'émoi chez les Québécois. Et avec raison: des pertes de 39,8 milliards de dollars, c'est beaucoup. Mais je veux aujourd'hui rassurer les Québécois: bien qu'elle ait été frappée de plein fouet par la crise financière qui s'est abattue sur le monde entier l'automne dernier, la Caisse est en bien meilleur état qu'on le dit et en bonne position face à l'avenir, et ce, malgré les pertes encourues dans le PCAA. Je ne dis pas cela pour me défiler: la situation du PCAA s'est développée pendant que j'étais le premier dirigeant de la Caisse et, à ce titre, j'en assume pleinement la responsabilité.

Automne 2008: la tempête parfaite

Cinq mois après que j'ai quitté la présidence de la Caisse, une crise financière sans précédent a secoué le monde entier. En 45 jours de l'automne 2008, il s'est produit plus d'événements et de rebondissements sur les marchés financiers que pendant les quelque 45 ans d'existence de la Caisse.

L'ampleur de cette crise était imprévisible. Elle a été déclenchée par une décision précise des autorités américaines: la décision de laisser Lehman Brothers faire faillite. Depuis les années 30, jamais un gouvernement d'un pays développé n'avait laissé tomber une très grande institution financière. Cette politique était tellement bien établie qu'elle avait presque le statut de postulat. On disait: «Too big to fail», « Trop gros pour faire faillite ». Quand Lehman Brothers a fait faillite le 15 septembre sans que le gouvernement américain se porte à sa rescousse, le monde financier a basculé. De «too big to fail», on est passé à «too big to bail». [...]

C'est ce qu'on appelle la tempête parfaite, «The perfect storm». Aucune politique de diversification, aucune politique de gestion de risques ne met à l'abri de ce genre de synchronisme, qui ne s'était pas produit depuis 80 ans. Résultat: l'avoir de la Caisse s'est déprécié de 39,8 milliards, soit une baisse de 25 pour cent. C'est énorme.

Mais d'autres caisses de retraite s'en sont mieux tirées que la Caisse. Alors, pourquoi a-t-elle été autant frappée?

D'abord, à cause des règles comptables qui la régissent et qui sont celles d'une société de placement, et non celles d'une caisse de retraite ou d'une société d'assurance. Ces règles comptables l'obligent à évaluer ses actifs au prix qu'elle en obtiendrait si elle les vendait aujourd'hui. Dans le contexte actuel, ces règles comptables en sous-estiment énormément la valeur et forcent la Caisse à prendre des provisions pour pertes qui sont plus élevées que celles des autres caisses de retraite. En fait, la majorité de la baisse de valeur, soit 22 milliards sur les 39,8 milliards, est constituée de provisions, essentiellement dues à la tempête parfaite de l'automne dernier et à l'impact des règles comptables applicables à la Caisse.

La deuxième raison, c'est le coût de la protection contre les fluctuations de change, à hauteur de 8,9 milliards. [...] La troisième raison est le PCAA. La Caisse a inscrit une nouvelle provision pour pertes de quatre milliards à ce chapitre en 2008, soit 10 % de la perte totale. Pourquoi la Caisse détenait-elle du PCAA? Parce qu'il était un instrument du marché monétaire très utilisé, aussi répandu que les bons du Trésor fédéraux, en fait, et de surcroît un instrument de qualité. Transigé depuis les années 1990 au Canada, il n'avait jamais fait l'objet d'un défaut de remboursement. Il était coté AAA par DBRS, une agence de notation reconnue, et la qualité intrinsèque de cet instrument n'avait jamais fait problème au Canada.

Le problème survenu en 2007 découlait d'une échappatoire dans la réglementation au Canada sur les ententes de liquidité — en anglais, on dirait un loophole. Cette échappatoire a été exploitée par des banques étrangères pour se soustraire à leur engagement de maintenir la liquidité des PCAA lorsqu'il y a eu une perturbation généralisée du marché des PCAA non-bancaires en août 2007. Peu importait leur valeur intrinsèque, les PCAA ne trouvaient plus preneur. [...]

Comme l'a dit le président Fernand Perreault, l'erreur ne fut pas de détenir des PCAA; elle fut d'en détenir autant. Et si la Caisse en détenait autant, c'est parce que la politique de gestion de risques de la Caisse ne fixait pas de plafond pour les produits du marché monétaire de première qualité, ceux cotés AAA. La situation a été évidemment corrigée depuis.

Malgré ces faits, malgré ces explications, cette situation regrettable s'est produite pendant mon mandat. Comme premier dirigeant, j'en assume la pleine responsabilité.

Je revendique toutefois d'avoir rapidement, avec des collègues de l'industrie financière, posé les gestes appropriés pour résoudre l'impasse du PCAA non-bancaire canadien. [...]

2003-2007: une solide performance

Cela étant dit, il est essentiel de mettre en perspective les événements de 2008.

Quand on prend un peu de recul, on constate que, avec ou sans PCAA, la Caisse est dans un bien meilleur état pour traverser la crise actuelle qu'on semble le croire généralement. En fait, même lorsqu'on tient compte de la dure année 2008, le patrimoine des déposants à la Caisse est aujourd'hui plus élevé que si la Caisse avait reproduit, de 2002 à 2008, sa performance historique des années 90. [...]

Dans un contexte de faible inflation et de taux d'intérêt nominaux également faibles, comment obtenir un rendement de 7 % sans accroître le risque? Cela semble impossible à un petit investisseur limité aux actions et aux obligations. Mais ce n'est pas vrai d'un gestionnaire de fonds de la taille de la Caisse, qui a un éventail de possibilités beaucoup plus large que celui d'un investisseur moyen et qui peut se diversifier davantage en investissant dans une multitude de produits et d'industries, et ce, partout sur la planète. En fait, certains investissements ne sont accessibles qu'aux investisseurs d'envergure mondiale.

C'est d'abord par une meilleure diversification, et non davantage de risques, que les rendements de la Caisse se sont hissés jusqu'au premier quartile entre 2003 et 2007[...].

Certes, aucune diversification ne met à l'abri d'un écrasement simultané de tous les marchés, dans tous les secteurs et dans toutes les régions du monde, comme cela s'est produit en octobre dernier. La Caisse n'a pu se mettre à l'abri, pas plus que d'autres investisseurs.

Des investissements au Québec plus importants que jamais

Les bons résultats de la Caisse n'ont pas été obtenus au détriment de sa contribution au développement économique du Québec. Loin de là. La Caisse joue aujourd'hui un rôle plus important que jamais dans l'économie du Québec. [...]

Plus la Caisse est performante, plus elle peut «rendre disponibles des fonds pour le développement à long terme du Québec», et c'est ce qui s'est produit ces dernières années.

De 2002 à 2006, la valeur des investissements de la Caisse dans les entreprises du Québec a progressé plus de deux fois plus rapidement que le PIB du Québec. À la fin de 2007, elle détenait près de 37 milliards d'actifs au Québec, soit 20 milliards d'obligations des secteurs public et privé et 17 milliards répartis entre des actions d'entreprises québécoises cotées en Bourse, environ 600 immeubles et des placements dans quelque 500 entreprises privées. C'est considérable.

Ce qui compte dans ce débat, c'est l'importance de la Caisse dans l'économie du Québec, pas l'importance du Québec dans les investissements de la Caisse, car plus la Caisse grossit, plus elle peut investir au Québec, même si ces investissements représentent une proportion moins grande de ses investissements totaux. [...]

Vers la sortie de la crise

Pour conclure, je veux partager avec vous deux convictions. La première, c'est qu'on va sortir de cette crise parce que les autorités du Canada et des autres pays industrialisés ont pris les bonnes décisions fiscales et monétaires pour nous sortir de cette crise. Ma seconde conviction, c'est que la Caisse demeure une institution de premier plan, capable d'affronter la crise actuelle et en bonne position pour l'avenir. [...] Et je ne suis pas le seul à croire en la qualité de la Caisse, puisque pas plus tard que vendredi dernier Moody's, à la suite de DBRS, a confirmé la cote AAA de la Caisse. [...]

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