Qui conseillera le futur président?

Après huit ans de présidence Bush, les Américains attendent un changement substantiel. Toutefois, qu'Obama ou McCain l'emporte, le nouveau président devra se doter des moyens d'élaborer une stratégie, avec des étapes rigoureuses, fondée sur des analyses fiables. Il lui sera par conséquent nécessaire de restaurer le pluralisme dans les sources d'information et le conseil opérationnel, qui a disparu sous George W. Bush. Il lui sera indispensable de rétablir un mécanisme de décision clair, fondé sur une chaîne de commandement transparente et un jeu coopératif des différentes administrations.

Trancher avec la gestion Bush

Au-delà du fond, la présidence Bush a été marquée par un manque de pensée stratégique, l'idéologie en tenant lieu, des déficiences dans les services de renseignement, une absence de discussion libre des options, une domination des influences doctrinales extérieures, un rôle inédit — perturbant la prise de décisions — du vice-président, une confusion entre les questions de défense et de diplomatie, une faculté d'initiative atténuée, une délégitimation et une démoralisation de certaines agences (l'USAID notamment), une politique du fait accompli, liée à la dramatisation des questions de sécurité, par rapport au Congrès, trop timoré dans l'exercice de son pouvoir de proposition et de correction, sinon par le biais du lobbying.

En matière de politique étrangère, le président américain doit jouer sur plusieurs claviers. La tour de contrôle est le National Security Council (NSC), animé par le conseiller pour la sécurité nationale et statutairement dirigé par le président, dont le fonctionnement a varié depuis sa création, en 1947.

Un fonctionnement harmonieux du NSC se caractérise par une concentration sur les sujets de fond, une faculté de confrontation d'analyses argumentées, l'absence d'encombrement par le quotidien et la bureaucratie, un respect des compétences des administrations et une autorité naturelle en matière de stratégie.

Les rôles du conseiller pour la sécurité, du secrétaire d'État et du ministre de la Défense doivent être clairement établis. Sans empiéter sur leurs prérogatives, le conseiller pour la sécurité doit être capable de veiller à ce que les intérêts corporatistes de chaque administration ne prennent pas le dessus sur l'intérêt national. Or aucun des candidats n'a détaillé ses propositions sur le fonctionnement du NSC et de l'administration, questions éloignées des préoccupations du grand public. On peut toutefois établir quelques conjectures à partir de la composition des équipes.

Le style McCain

L'équipe de McCain est marquée par la priorité donnée au combat en Irak. Elle est constituée d'un assemblage d'experts militaires ou en sécurité de haut niveau (dont un ancien directeur de la CIA, Woolsey), de néoconservateurs intelligents (Kagan), de grandes figures du néoréalisme (Kissinger, Armitage), dont le rôle ne saurait être qu'indirect. Le coordonnateur de sa politique étrangère, Randy Scheunemann, fut l'un des apôtres de la guerre en Irak et de la «démocratisation» au Moyen-Orient. Pour lui, le succès en Irak déterminera la résolution des autres questions (Iran, Israël).

Son équipe, qui inclut quelques proches de G. W. Bush, quoique plus ouverte à la négociation et moins intransigeante sur le multilatéralisme, est marquée par une ligne dure sur la Russie, l'extension de l'OTAN et le conflit israélo-palestinien. Les grandes lignes de sa position sont définies. La question irakienne reste dominante, même s'il faut combiner cette position avec des ouvertures sur l'immigration et l'environnement.

La forme emportant le fond, on pourrait imaginer un mode de décision lié à cette vision d'abord globale du rôle de l'Amérique, avec un poids fort du secrétaire d'État et du ministre de la Défense, un rôle de conseil des services de renseignement et un NSC en appui, qui ne jouerait sans doute pas un rôle d'innovation stratégique mais plutôt de mise en forme collective de décisions déjà prises dans leurs grandes lignes. Le rôle de la vice-présidence devrait être second dans le processus décisionnel. McCain devrait être attaché à un mécanisme plus clair et plus ordonné, avec moins d'ingérence des lobbies (notamment de la grande industrie) et des groupes idéologiques.

La touche Obama

Si Obama est élu, les choses seraient différentes. Lorsqu'il affirmait le 31 janvier: «Je ne veux pas seulement finir la guerre, mais mettre un terme à l'arsenal mental qui nous y a conduits en première ligne», il ne s'agissait pas seulement de rompre avec les années Bush, mais de construire une nouvelle politique internationale. Loin d'abandonner les objectifs de puissance et de sécurité, encore moins la lutte contre al-Qaïda, il s'agit pour lui de remettre la légitimité en son coeur. Nouvelle doctrine, mais non changement radical par rapport aux éléments de continuité de la position internationale des États-Unis et à sa vocation mondiale.

Obama connaît les reproches de faiblesse adressés aux démocrates. Il est du côté des réalistes et non des utopistes. L'équipe d'Obama reflète ces choix et cela pourrait se retrouver dans le fonctionnement de son gouvernement. Elle devrait innover aussi par rapport à l'ère Clinton, quand bien même plusieurs membres en sont issus.

Son équipe en politique internationale est nombreuse et, au-delà de quelques conseillers «globaux» (Brzezinski, Albright, Lake), spécialisée par zones du monde et par sujets. Elle n'est pas marquée par une idéologie d'ensemble, mais par une approche pragmatique. Elle n'est pas axée sur un sujet, l'Irak, même s'il occupera une place essentielle, mais sur plusieurs. Elle vise à établir les lignes d'une politique mondiale et à prendre l'initiative sur des sujets délaissés (conflit israélo-arabe, relations avec l'Europe et avec l'Amérique latine, etc.).

Errements à éviter

Le parcours de ses conseillers montre que les préoccupations de sécurité ne sont pas négligées. Sur plusieurs sujets, la doctrine Obama n'est pas arrêtée. Le mode de fonctionnement de son gouvernement devrait en découler logiquement. Le NSC retrouverait son rôle premier d'élaboration stratégique, liant doctrine et décisions opérationnelles. Ce souci d'établir une nouvelle vision du monde permettrait d'éviter que la négociation tienne lieu de politique au lieu d'en être un moyen.

L'expérience du fonctionnement parfois désordonné et peu conclusif du NSC sous Clinton inciterait à éviter ces errements. Dans ce schéma, les domaines propres de compétence du secrétariat d'État, du Pentagone et des services de renseignement seraient respectés. La nouvelle priorité accordée au développement devrait se traduire par un retour en grâce de l'USAID et la suppression des ingérences du Millenium Challenge Corporation créé par Bush. Enfin, et compte tenu de son expérience internationale, Joe Biden devrait être plus un superconseiller qu'un acteur direct s'ingérant dans le processus décisionnel comme Cheney.

Ainsi, lorsque les Américains se rendront aux urnes, ils désigneront un président, personnage mû par ses propres convictions et son expérience, mais aussi une équipe qui reflète ses choix décisionnels et qui va orienter la politique des États-Unis pendant quatre ans. Le processus de décision gouverne autant la stratégie que l'inverse. N'est-ce pas aussi une leçon des huit dernières années?

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