Entrevue avec Antonio Lamer
ALAIN-ROBERT NADEAU — J'ai noté l'absence, dans l'énonciation des décisions les plus importantes rendues par la Cour suprême, du Renvoi sur le rapatriement de la Constitution (1981) et du Renvoi sur la sécession du Québec (1998). Est-ce à dire, selon vous, que ces décisions ne comptent pas pour vous parmi les plus importantes?
ANTONIO LAMER — Ces deux arrêts sont très importants parce que le premier nous amène la Charte alors que le second balise, de part et d'autre, les conditions d'une sécession de l'une des provinces. Ce qu'il y a d'important, c'est le respect de certaines conditions préalables qui déclenchent une obligation de négocier et consacrent le fait que le Canada est un pays démocratique et réaffirme le droit à l'autodétermination des peuples et réaffirme la primauté du droit.A.-R. N. — Dans le Renvoi relatif à The Initiative and Referendum Act (1919), le comité judiciaire du Conseil privé a déclaré que les référendums décisionnels, par opposition aux référendums consultatifs, étaient inconstitutionnels parce qu'ils étaient contraires au principe de la souveraineté du parlement. Comment la Cour suprême a-t-elle pu, dans ce contexte, affirmer qu'il est nécessaire d'obtenir une réponse claire à une question claire et d'obliger les gouvernements à négocier?
A. L. — Il y a une distinction à faire entre un jugement et un renvoi. Le Renvoi sur la sécession du Québec (1998), comme dans tous les renvois, ce n'est qu'une opinion. Ni le Québec ni le restant du Canada n'est obligé de suivre notre opinion. S'il s'agissait d'un jugement, il serait exécutoire. Par exemple, si ça avait été un jugement devant une question supposément pas claire, je suppose que le gouvernement fédéral pourrait demander une injonction pour empêcher le référendum. Mais en l'absence d'un jugement, à la suite d'un renvoi, je ne crois pas que ce serait le cas.
A.-R. N. — Qu'entendiez-vous par une réponse claire à une question claire? Est-ce qu'une majorité de 50 % plus un constituerait une majorité claire? Un récent sondage d'opinion publique démontre que 70 % des Québécois (les anglophones et les francophones étant égaux à ce chapitre) considèrent qu'une réponse claire doit atteindre au moins 60 %. Qu'en pensez-vous?
A. L. — Moi, personnellement, ce que je ferais si j'étais le gouvernement fédéral, je ferais un sondage avec les mêmes personnes sur une période de peut-être trois ans posant exactement la même question aux mêmes personnes. Et là, je verrais la fluctuation au cours des trois années, et je soupçonne qu'il y aurait une variante d'à peu près 7, 8, ou 9 % selon que le gars a perdu sa job, selon la ville, selon que quelqu'un a dit quelque chose d'imbécile la veille, selon que... enfin, selon les événements. Il y a une fluctuation dans la population. Ça, je l'ai appris du temps que j'étais président des jeunes libéraux; on faisait des sondages et, vous demanderez aux politiciens — moi, je ne leur ai pas parlé depuis 30 ans —, il y a un 7 ou 8 % flottant, du moins dans les années 60. Je ne peux pas parler pour aujourd'hui, car je ne fais pas de sondages, mais dans les années soixante, il y avait une fluctuation de 7 ou 8 % aux élections. Je ne parlais pas d'un référendum, mais d'élections. Donc, il me semble que 50 % plus un, c'est très dangereux parce que, six mois plus tard, il peut en avoir 58 % des gens qui n'en veulent plus de la séparation. 51 % plus un, ça dépend d'une crevaison des fois, quelqu'un qui a une crevaison en chemin pour aller voter. On ne peut pas faire ça. Quelqu'un qui tombe malade et qui ne peut pas aller voter ce jour-là.
A.-R. N. — Seriez-vous d'accord avec la majorité des Québécois qui disent que ça prendrait une majorité de 60 % ou estimez-vous plutôt que ça prendrait une majorité comme les deux tiers? 60 % représente-il une majorité suffisante pour établir un consensus social?
A. L. — Pour répondre à cela, il faudrait que je fasse, que je vois, un sondage comme celui sont je vous ai parlé et [ça prendrait] une marge confortable ajoutée à la variable. Aux élections, c'est entre 6 à 8 % de fluctuation, selon si la loi a été passée ou pas passée, selon que l'on pose la question au mois d'avril quand c'est le temps des impôts ou que l'on pose la même question à Noël.
A.-R. N. — Si je comprends bien ce que vous me dites, une majorité claire serait plus de 50 % ?
A. L. — Ça, je n'ai aucun doute. 50 %, c'est dangereux; ce serait l'Irlande, ce serait l'Irlande du Nord. Parce que, qu'est-ce que vous voulez, six mois plus tard, vous en avez 6, 7 ou 8 % [des gens] qui n'en veulent plus [de la séparation].
A.-R. N. — Est-ce que la question du référendum en 1995 était une question claire?
A. L. — Non. Parce qu'elle présupposait une volonté de partenariat.
A.-R. N. — Qu'est-ce que serait pour vous une question claire?
A. L. — Une question claire, c'est une question simple. Une question simple, c'est: qu'est-ce qu'on fait? Qu'est ce qu'on décide? On décide de se séparer du Canada.
A.-R. N. — Donc le mot séparation ou indépendance devrait être dans la question?
A. L. — C'est ce que l'on fait. Quand [j'ai] divorcé de ma première femme, je n'ai pas employé d'autres mots. J'ai dit: [j'ai] divorcé. Qu'est-ce que vous voulez. Je ne peux pas dire que je ne vis plus avec ma première femme ou encore... tourner autour du pot. Ou encore, voulez-vous devenir simplement l'ami de votre femme; plutôt que de dire, voulez-vous divorcer [de] votre femme.
A.-R. N. — Le gouvernement fédéral a exprimé son intention de légiférer afin d'encadrer le processus de consultation populaire. Qu'en pensez-vous?
A. L. — Moi, vous savez, je pense qu'une situation de sécession est une situation très particulière qui se situe très difficilement dans le l'ensemble des lois et l'ensemble des pouvoirs législatifs en place, sauf dans les pays qui l'ont prévue dans leur Constitution. Donc ça prendrait un amendement constitutionnel, probablement. Je dis que l'idéal, cela devrait être prévu dans la Constitution. Ce n'est pas le cas. On est dans un «no man's land». On a émis une opinion qui n'est pas un jugement.