Les vraies conditions d'une «bonne gouvernance» des universités
Les grandes entreprises qui ont été ébranlées par des scandales financiers tout comme les administrations publiques qui sont critiquées pour leur inefficacité cherchent à se donner une nouvelle crédibilité en adoptant de nouvelles règles de gestion que l'on a synthétisées sous le concept de «bonne gouvernance». Les spécialistes de l'administration ont été mobilisés pour cette opération de «relookage» et tentent de convaincre l'opinion publique que les méthodes de gestion du secteur privé devraient être transposées au secteur public.
Le choix des mots n'est jamais innocent et cache des opérations idéologiques dont l'objectif est de faciliter le consentement du public à la réalisation d'intérêts particuliers, en l'occurrence soumettre la gouverne collective et son administration aux règles du marché.Le discours des élites économiques et politiques postule qu'il n'y a pas de différences entre le bien public et le bien privé, entre les règles du jeu économique et les règles du jeu politique. Cette logique de la confusion des sphères d'activités est préconisée par un courant idéologique fortement implanté dans les écoles de management, dans les départements de science économique et de science politique, soit le «public choice» qui stipule que les lois du marché s'appliquent aussi bien aux décisions économiques que politiques. Ce qui est bon pour l'entreprise est aussi bon pour l'État.
Pas contre la vertu
Inspiré par cette logique, un ministre québécois a déjà dit que l'on pouvait gérer l'État comme un Provigo. S'il avait eu raison, il n'y aurait plus d'État québécois puisque son modèle de référence a été absorbé par une autre entreprise. Cette boutade montre à quel point il est absurde de postuler une similitude entre le public et le privé.
Personne ne peut être contre la vertu, ce qui rend la notion de «bonne gouvernance» si insidieuse et permet à ses thuriféraires de désamorcer les critiques. À la limite, ce syntagme est absurde, car aucune organisation publique dans une société démocratique ne ferait la promotion de la mauvaise gouvernance, du gaspillage, de la malversation.
Les décideurs publics, même s'ils peuvent poursuivre des finalités personnelles et oublier l'intérêt public, sont soumis à une évaluation et à un contrôle externe, car ils détiennent leurs fonctions et leur pouvoir des électeurs qui les sanctionnent pour leur mauvaise gouvernance. Il est dans leur intérêt personnel et partisan de viser la meilleure utilisation des ressources publiques. Il ne faut pas oublier qu'ils sont aussi soumis en permanence à la vigilance des médias qui les contrôlent entre les élections.
Sous-financement
Dans la foulée du scandale financier de l'UQAM, des rapports du vérificateur général et de l'Institut sur la gouvernance, la ministre de l'Éducation du Québec enfourche elle aussi le cheval de la bonne gouvernance des universités et se propose de revoir les chartes de ces institutions afin de modifier la composition des conseils d'administration.
Au lieu d'attaquer la source du problème des déficits accumulés par les universités, qui est le sous-financement chronique, on envisage une opération de réforme institutionnelle qui vise à renforcer l'influence des acteurs socio-économiques et gouvernementaux dans les conseils d'administration des universités. On postule que les universités seraient mieux gérées si elles étaient contrôlées par des administrateurs provenant du secteur privé nommés par le gouvernement. Pour assurer ce contrôle, la ministre Michelle Courchesne propose de changer les chartes universitaires afin de pouvoir nommer les deux tiers des administrateurs.
Argument fallacieux
Les membres externes seraient prétendument plus compétents et plus rationnels dans leurs décisions que les membres provenant de l'interne. Cet argument est fallacieux, car il faut rappeler à titre d'exemple qu'il y a environ 50 % des sièges du Conseil de l'Université de Montréal qui sont occupés par des membres externes et que cette forte présence n'a pas empêché l'accumulation des déficits. De même, on peut constater que la présence de membres externes au CA de l'UQAM n'a pas empêché le dérapage financier.
Le problème des universités ne se trouve pas dans la composition de leurs instances dirigeantes; et la forme de tutelle administrative sous la férule de membres externes que préconise implicitement la ministre de l'Éducation n'est pas une solution.
Être un membre externe ne garantit pas la rationalité des décisions, car cette personne n'a pas les connaissances du milieu universitaire nécessaires pour faire des choix éclairés et efficaces. Elle est coupée des informations provenant des unités de base de l'institution qui sont indispensables pour allouer les ressources de façon optimale. Elle n'a pas nécessairement la disponibilité requise pour suivre attentivement les dossiers.
Priorité à l'entreprise
Puisqu'elles sont désignées pour leur compétence dans la gestion de grandes entreprises, ces personnes ne suivront que par intermittence les travaux des conseils d'administration des universités. Parce qu'elles sont des gestionnaires responsables, elles donneront la priorité à leur entreprise et traiteront dans leur temps libre les dossiers universitaires, ce qui n'est pas une condition idéale pour gérer une institution dont le budget dépasse le demi-milliard de dollars.
La nouvelle présidente du conseil d'administration de l'UQAM [Isabelle Hudon] n'a-t-elle pas dit qu'elle consacrerait la huitième journée de sa semaine à sa nouvelle fonction? Les membres externes des CA universitaires sont souvent absents des réunions du CA et, lorsqu'ils sont présents, ils s'en remettent aux officiers de l'université qui connaissent beaucoup mieux les dossiers qu'eux.
Illusoire indépendance
Le concept d'indépendance des membres externes est aussi discutable. On reproche aux administrateurs internes de ne pas être objectifs dans leurs prises de décisions parce que celles-ci peuvent avoir un impact sur leur rémunération, leur carrière, leur milieu de vie, etc. Ils auraient donc tendance à faire des choix qui favorisent leurs intérêts.
Ce raisonnement est simpliste parce qu'il omet le fait que ces administrateurs internes sont attachés à leur institution et sont avant tout motivés par son développement et l'accomplissement de sa mission. De plus, un professeur nommé par exemple au CA de l'Université de Montréal représente l'ensemble des composantes de l'université. Ses décisions sont orientées par le bien de l'institution et non pas par son statut de professeur, ce qui est attesté par le fait qu'il est exclu automatiquement de l'unité syndicale. Il exerce son jugement librement sans subir de contraintes de ses pairs et il offre en prime des choix fondés sur sa connaissance du milieu.
Les membres externes échappent certes aux préoccupations de la vie universitaire, mais ils ne sont pas objectifs pour autant. Nommés par le gouvernement, venant du milieu des affaires ou représentants des groupes sociaux, ils ont d'autres intérêts en tête, et leurs décisions sont elles aussi influencés par les valeurs ou les intérêts de leur groupe d'appartenance. Leur indépendance est une fiction ou un artifice rhétorique.
Essentielle confiance
La condition essentielle d'une bonne gouvernance implique que les décideurs aient la confiance des diverses composantes de la communauté universitaire. Une université qui serait dominée par des dirigeants non universitaires serait difficile à gouverner, car ceux-ci n'auraient pas la légitimité nécessaire pour faire accepter leurs décisions. On ne peut transposer à une institution publique comme les universités les recettes d'une entreprise privée qui a pour seule mission de maximiser ses profits en produisant ou en vendant des biens.
Les critères de décisions sont beaucoup plus complexes lorsqu'il s'agit de la production et de la transmission du savoir et doivent tenir compte du facteur humain qui est capital pour assurer le succès d'une université et lui permettre d'être compétitive et attractive. [...]
Démocratisation
La collégialité et le consensus sont deux préalables pour assurer le bon fonctionnement des universités et rendre leurs performances optimales. C'est par la transparence de ses décisions, par une plus grande implication de la communauté universitaire dans les choix stratégiques, par la responsabilisation de ses diverses composantes qu'une administration pourra construire une relation de confiance qui rendra les décisions pertinentes, efficaces et rationnelles. La démocratisation de la gestion universitaire est une autre façon d'assurer la bonne gouvernance qui sera beaucoup plus efficace que l'imposition autoritaire de décisions émanant d'une volonté extérieure.