Roy Dupuis se porte à la défense de la rivière Romaine
Roy Dupuis s'en va t'en guerre et monte aux barricades pour défendre bec et ongles la majestueuse rivière la Romaine. Une rivière défilant depuis les frontières du Labrador jusqu'aux abords côtiers de la municipalité de Havre-Saint-Pierre en Minganie. Roy Dupuis fait à nouveau la manchette. Mais cette fois, ce n'est pas pour un premier rôle joué au cinéma, mais plutôt pour la réplique qu'il donne en tant qu'acteur citoyen à Hydro-Québec.
Évidemment, sa stature médiatique lui offre une visibilité dont bien peu de citoyens pourraient bénéficier. Je ne crois pas que le maire de Natashquan, Jacques Landry, pourrait jouir d'une telle visibilité en se portant à la défense du projet hydroélectrique de la rivière Romaine.Ayant travaillé plusieurs années sur la Moyenne et la Basse-Côte-Nord, j'ai eu le privilège de naviguer, skier et souvent survoler les rivières Moisie, la Romaine, Natashquan, Olamen, Moskuaro, Saint-Augustin et bien d'autres. Roy Dupuis a raison! Ce sont là de magnifiques et majestueux cours d'eau qui, souvent, ont l'envergure d'un fleuve. Mais, dans son plaidoyer, cet homme de premiers rôles oublie de faire mention des acteurs de second rôle, des figurants de la Moyenne et de la Basse-Côte-Nord. Les vedettes font souvent de l'ombre! En fait, je parle de ces gens qui peuplent ce Pays dans le pays. Ces gens qui, tant bien que mal, parviennent à joindre les deux bouts et qui, peut-être, attendent le tournage d'une autre «Grande» ou «Petite séduction» pour que l'on parle d'eux, positivement.
La vie des Nord-Côtiers n'est pas que drame. Toutefois, je peux témoigner des angoisses quotidiennes que vivent des centaines et des centaines de Nord-Côtiers, Innus et Québécois en raison du dépérissement des industries de la pêche et du bois, et du corollaire dépeuplement de leur village.
La population du village de Natashquan que je connais très bien, ayant entre autres choisi de prendre femme dans ce village, se débat avec l'énergie du désespoir pour demeurer vivante et, surtout, fière. Je n'ai jamais vu Roy Dupuis à Natashquan! Des gens de la Côte-Nord, courageusement et avec ténacité, travaillent à développer avec bien peu de moyens une industrie touristique pour pallier le manque d'emploi et de développement économique. Cinq mille touristes, c'est probablement le nombre qui, approximativement, fréquente la seule rue du Petit-Champlain à Québec ou un coin du Vieux-Montréal en une demi-journée de la saison touristique. Est-ce que Roy Dupuis offrira bénévolement son beau minois pour soutenir la promotion de la Côte-Nord comme destination touristique afin de soutenir les gens de ce pays cherchant à développer des solutions économiques afin de demeurer vivants, présents sur l'échiquier du Québec.
C'est vrai que c'est très beau une rivière vierge. Mais, M. Dupuis est bien prétentieux lorsqu'il affirme par la plume de la journaliste Jessica Nadeau que peu d'hommes ont emprunté cette rivière coulant désormais dans ses veines. Les Innus ne sont-ils pas des hommes? Pendant des millénaires, ces gens des Premières Nations ont parcouru du nord au sud puis du sud au nord cette rivière comme tant d'autres de ce territoire qu'ils nomment Nitassinan. Et qui sont ces Nord-Côtiers venus au cours des siècles derniers des îles de la Madeleine, d'Acadie, de Terre-Neuve pour peupler cette terre que Jacques Cartier qualifiait de «Terre de Caïn». Dans l'imaginaire du Québécois urbain, cette image est d'ailleurs toujours bien présente. C'est peut-être pour cette raison que le Québécois ne voyage pas vers la Côte-Nord. Le beau livre de photographies, Le Pays dans le pays, de mon ami, l'artiste photographe Serge Jauvin, fait éloquemment la preuve du contraire. La Côte-Nord est un pays dans le pays bien connu des dieux et bien peu de la population du Québec et de son État. Un pays peuplé par des gens colorés et courageux qui s'organisent avec peu de moyens pour, comme les tenaces Gaulois, vivre en ce pays sous-développé, depuis une perspective économique.
Roy Dupuis affirme qu'il ne vivra plus un jour sans qu'il pense à la rivière Romaine. Est-ce que ses pensées seront, à l'occasion, traversées par les visages de ces femmes, hommes et enfants qui peuplent la Moyenne et la Basse-Côte-Nord? Ces acteurs et vedettes des films de Pierre Perreault qui aujourd'hui sont de plus en plus ignorés et laissés à eux-mêmes. Sur la Côte-Nord, le taux de chômage dépasse les 11 %. Les petits villages nord-côtiers se dépeuplent, les jeunes n'y trouvant plus aucun avenir. Toutes les larmes que fera couler Roy Dupuis au grand écran ne sauront donner la mesure du drame qui se vit dans plusieurs familles et villages nord-côtiers qui, année après année, se disloquent devant les yeux impuissants de parents et grands-parents.
D'accord, M. Dupuis, votre cause est noble! Mais êtes-vous de la «nature» de la célèbre Brigitte Bardot qui n'a de larmes que pour les blanchons et qui alimente une haine sans borne pour les pêcheurs des îles de la Madeleine qui, au péril de leur vie, gagnent dignement leur pain quotidien. Que direz-vous aux Nord-Côtiers qui cherchent inlassablement des pistes de développement pour leur région, leurs villages, leurs familles?
Quelle solution offrirez-vous, M. Dupuis, aux Nord-Côtiers, Québécois et Innus qui attendent avec impatience un projet de développement qui apportera des emplois et d'inestimables retombées économiques? Des retombées qui permettront aux municipalités d'acheter, par exemple, des balançoires pour les quelques jeunes qui demeurent! M. Dupuis, connaissez-vous le désoeuvrement qui accable les jeunes Innus de la Côte-Nord qui ne voient poindre devant eux qu'un sombre avenir économique?
Le microbiologiste René Dubos, à qui je voue une grande admiration, ce père de la célèbre phrase «Penser globalement, agir localement», estimait que le public se fatigue très vite d'entendre seulement des histoires de désastre et estimait qu'il était indispensable de développer une pensée positive. René Dubos était très critique envers ces écologistes radicaux qui excluent l'être humain de leur réflexion. Ce grand humaniste et écologiste estimait que la nature ne fait pas nécessairement les choses mieux que l'homme... qui est aussi partie prenante de la nature.
À l'instar d'Albert Jacquard, je suis tout à fait en accord avec le fait que l'humanité ne pourra résister à la logique capitaliste du développement à tout prix. Une logique qui, irrémédiablement, mène l'humanité vers la catastrophe. Je suis père d'une petite fille de quatre ans et je désire qu'elle puisse, elle aussi, bénéficier d'un avenir radieux sur une planète propre et juste. Mais que la Côte-Nord puisse bénéficier d'un projet de développement lui permettant de s'inscrire dans la modernité n'est sûrement pas un outrage à la nature et à l'humanité.
Ma fille de quatre ans se réclame de son appartenance québécoise et natashquanaise. J'ai la conviction qu'elle sera fière et heureuse, dans 20 ans, d'aller séjourner à Natashquan, le village de sa maman, celui-ci ayant su tirer son épingle du jeu des retombées apportées, entre autres, par le projet d'Hydro-Québec sur la rivière Romaine.
Que suggérera Roy Dupuis aux Nord-Côtiers comme piste de développement? Est-ce que les Nord-Côtiers doivent se résigner à voir leurs villages fermer? Peut-être que M. Dupuis pourrait parallèlement militer pour que Universal construise, quelque part entre Magpie et Blanc-Sablon, des studios de cinéma.