Libre-Opinion - Des responsabilités partagées pour la crise au Zimbabwe
La pseudo-élection de Robert Mugabe à la présidence du Zimbabwe va certainement perpétuer la grave crise qui sévit dans ce pays d'Afrique australe. Il ne fait aucun doute que cette élection n'a été qu'un simulacre de démocratie, dans un contexte où le pays croule sous la répression, la mauvaise gestion et l'implosion sociale et économique. Il est donc naturel que les pays africains, de même que l'ONU et ses États membres, refusent de cautionner cette arnaque. Reste à voir si les condamnations verbales vont être suivies d'actions réelles. On peut se poser la question, car l'écart entre la rhétorique démocratique et la pratique ne cesse de s'aggraver un peu partout dans le monde.
Personne ne peut affirmer sérieusement avoir été surpris par la tournure des événements au Zimbabwe. En effet, la crise dans ce pays perdure depuis plusieurs années. Avant même l'indépendance (1980), le pays avait connu une violente guerre anticoloniale. Appuyé par l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid, le régime rhodésien avait déjoué la pression internationale plutôt ambiguë puisque les pays occidentaux, majoritairement, appuyaient le régime de l'apartheid censé représenter un «rempart» contre l'avancée soviétique en Afrique. Ce cruel choix a beaucoup contribué à créer les sources du problème actuel.Plus tard, au moment de la transition, les États-Unis et la Grande-Bretagne avaient imposé au mouvement de libération africain, à la veille de prendre le pouvoir, des engagements à ne pas modifier la structure coloniale de l'économie zimbabwéenne, notamment la très inéquitable distribution des terres qui excluait la majorité africaine des zones les plus fertiles. M. Mugabe avait accepté à cette époque ce «compromis» en espérant que l'indépendance allait un peu par magie régler les problèmes.
Par la suite, au cours des années 1980, le Zimbabwe, tout comme la majorité des pays africains, a été piégé par l'endettement et les politiques dites d'ajustement structurel mises en place par le FMI et la Banque mondiale, inspirées par les orientations néolibérales des États-Unis. Le gouvernement avait alors dû réduire drastiquement les services publics, sabrer dans les emplois et rembourser une dette héritée de la période coloniale. Ces injustices n'expliquent certes pas tout, car M. Mugabe a lui-même contribué à aggraver le conflit. Par exemple, en 1983, une violente répression a été déclenchée dans l'ouest du pays et a fait plusieurs milliers de victimes. Mais, à l'époque, le président était bien vu par les pays occidentaux puisqu'il avait accepté de suivre les politiques en question.
L'implosion
Tout au long des années 1990, la situation s'est aggravée. Avant la fin du régime de l'apartheid, le Zimbabwe a de plus souffert des agressions sud-africaines dans un contexte où les pays occidentaux, jusqu'à la dernière minute, si on peut dire, ont permis cette situation inacceptable. En 1994, enfin, l'apartheid est passé à l'histoire et on pouvait espérer le rétablissement de la situation en Afrique australe. En dépit des espoirs, cependant, l'Afrique du Sud n'a pu jouer le rôle que tout le monde espérait, en partie à cause des orientations du président Mbeki, plutôt porté vers une gestion conservatrice de la crise africaine, et en partie faute de moyens, dans le sillon des politiques macro-économiques imposées qui ont obligé l'Afrique du Sud à rembourser les dettes héritées du régime de l'apartheid.
Pendant que le Zimbabwe sombrait dans un trou noir, on n'a pratiquement rien fait. Pour faire échec à la pression populaire, M. Mugabe a mis en place des mesures populistes, dont une pseudo-réforme agraire qui, tout en faisant imploser le système de production agricole, n'a pu donner à la majorité africaine l'accès aux terres. Ce pays qui exportait des aliments est devenu affamé. Près de 20 % des adultes sont atteints du sida, alors que les hôpitaux et les cliniques n'ont plus ni médecins ni médicaments.
Deux poids deux mesures
Certes, des pays occidentaux ont dénoncé les manipulations du régime Mugabe ainsi que les violations des droits qui abondent dans ce pays. Mais quelle est la valeur de telles condamnations? À un premier niveau, les condamnations, lorsqu'elles ne sont pas accompagnées de gestes concrets, valent peu. À un deuxième niveau, le régime Mugabe, comme beaucoup de gouvernements africains, ne pouvait pas réellement être impressionné puisque les pays occidentaux n'ont cessé, sous divers prétextes, d'appuyer des dictatures un peu partout sur le continent et ailleurs, quitte à les encourager à organiser des simulacres d'élections.
C'est ainsi que le régime Moubarak en Égypte continue de dominer dans un contexte de répression et de manipulation politique qui est connu de tout le monde, à commencer par Washington, Londres, Ottawa, etc. Ailleurs sur le continent, des «démocratures» appuyées par la France ou les États-Unis se portent bien, merci, au Tchad, au Togo, au Cameroun, au Congo, parmi d'autres. Des régimes aux abois, décriés par leurs propres populations et dénoncés régulièrement par Amnistie internationale, continuent d'agir à leur guise parce qu'ils sont considérés par les pays occidentaux comme des alliés ou des clients. On comprend, dans ce contexte, que M. Mugabe pense, comme plusieurs gouvernants dans le monde, qu'il peut s'en tirer.
Des solutions de rechange?
La crise zimbabwéenne, à l'image de plusieurs autres crises en Afrique en ce moment, est le résultat de plusieurs causes à la fois internes et externes. À l'intérieur du pays, l'opposition démocratique représente un début de solution de rechange, pour autant qu'elle puisse agir et promouvoir un programme de reconstruction nationale crédible. À l'extérieur du pays, un nouveau consensus international doit émerger pour que soient mises de côté les funestes politiques qui ont creusé le lit des crises, dont l'étranglement économique via la dette et d'autres politiques causant la misère et l'exclusion.
Parallèlement, il faut sanctionner les dictatures et les «démocratures», mais sans faire de distinction, comme cela est le cas maintenant, entre les «bons dictateurs» (Moubarak, Moucharraf) et les «mauvais dictateurs». À l'échelle régionale, enfin, l'Afrique du Sud doit exercer un leadership éclairé et généreux, réintégrer la communauté des États d'Afrique australe autour d'un projet de transformation démocratique à long terme, dans le sillage de ce qui s'est fait ailleurs, par exemple dans l'Europe de l'après-guerre au titre du plan Marshall.