Autopsie d'une liaison dangereuse

La liaison de l'ex-ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier avec Mme Julie Couillard a fait l'objet de plusieurs commentaires tant de la part des éditorialistes que de chroniqueurs politiques. Plusieurs se sont sérieusement inquiétés de son possible impact sur la sécurité nationale.

Lorsqu'un politicien ou un homme d'État se glisse dans de mauvais draps, son premier réflexe est d'invoquer «le respect du droit à la vie privée» pour justifier sa fâcheuse position. L'esquive n'est pas nouvelle, mais rarement efficace. L'ex-président américain Bill Clinton s'était difficilement réfugié derrière un principe identique lors de sa comparution devant le grand jury faisant suite à son aventure avec Monica Lewinsky.

La personne qui s'engage en politique devrait se rappeler qu'elle ne jouit pas de la même liberté qu'un citoyen ordinaire et qu'elle devient soumise à toute une série de contraintes. Elle doit sans cesse surveiller ses fréquentations, choisir prudemment les endroits pour s'adonner à des loisirs et à l'occasion, censurer son comportement vestimentaire et celui de ses proches.

Le 14 août 2007, date de son assermentation comme ministre des Affaires extérieures, Maxime Bernier a commis un impair protocolaire en suggérant à sa conjointe d'alors de revêtir une robe jugée scandaleuse par le parterre de Rideau Hall. Dans un contexte entièrement différent, le président français Nicolas Sarkozy a été sévèrement critiqué pour avoir récemment franchi le seuil de l'Élysée en tenue de jogging.

Vie privée, vie publique

Il existe une osmose entre la vie privée et publique d'un politicien. Tel que l'exprimait judicieusement le professeur Pierre Trudel, du Centre de droit public de l'Université de Montréal, «les droits à la vie privée d'une personne vont trouver leurs limites dans l'intérêt que le public possède de prendre connaissance de certains aspects de sa personnalité afin de juger s'il y a lieu de réitérer sa confiance à son endroit».

Le fait de tracer une frontière entre la sphère de la vie privée et celle du domaine public demeure une difficulté réelle. D'ailleurs, le député Bernier l'a reconnue lors de sa déclaration écrite du 25 juin dernier, prononcée dans son comté, à St-Georges de Beauce. L'exercice consiste à rechercher un équilibre entre le droit du public à l'information et le droit à la vie privée, le premier délimitant les frontières du second. Un homme politique, soucieux de préserver son droit à l'intimité, peut développer une interprétation obsessionnelle de sa vie privée, abusant de cette façon de son droit de garder le silence.

Une atteinte raisonnable à la vie privée

L'énigme Bernier-Couillard constitue une affaire de nature fédérale, nous amenant à appliquer certaines dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Étrangement, la loi constitutionnelle de 1982 ne prévoit pas en termes explicites le principe du droit à la vie privée, alors que la Charte québécoise, dans son article 5, l'énonce clairement. Toutefois, le droit à la vie privée peut être reconnu comme sous-jacent «aux droits à la vie et à la sécurité de la personne», garanties juridiques formulées à l'article 7 de la charte canadienne.

C'est en interprétant principalement l'article 8, lequel accorde une protection contre les fouilles abusives, que la Cour suprême a élaboré la notion «d'une atteinte raisonnable à la vie privée». Si la GRC (Gendarmerie royale du Canada) s'était présentée à la résidence de Mme Couillard pour récupérer le document oublié, sans s'être au préalable munie d'un mandat de perquisition, cette dernière aurait éprouvé de la difficulté à invoquer «une atteinte subjective à sa vie privée», vu sa détention précaire sur un dossier suspect.

Un faux prétexte

L'ex-ministre Bernier a été largué pour avoir égaré un document supposément confidentiel chez Julie Couillard pendant une période d'environ cinq semaines. Nous n'avons aucune preuve que ce document secret comportait un coefficient de dangerosité tel qu'il pouvait à lui seul justifier le renvoi du ministre. D'ailleurs, le député Bernier, dans sa déclaration, en a donné une interprétation minimaliste, en expliquant que ce genre de document ne méritait pas d'être suivi à la trace par les fonctionnaires de son ministère.

De surcroît, aucune nation à l'étranger n'a manifesté de l'inquiétude eu égard à la disparition de ce dossier. Vu la piètre performance de M. Bernier aux Affaires étrangères, la sanction la plus appropriée aurait été de le rétrograder à un ministère moins important et davantage dans le profil de son curriculum vitae.

Le fils prodigue

Le 25 juin dernier, Maxime Bernier a choisi son fief électoral de Beauce pour y faire une déclaration sur les événements qui l'opposent à son ex-compagne Julie Couillard. Ses commettants l'ont reçu avec beaucoup d'affection et son père lui a également manifesté de la tendresse, allant même jusqu'à prétendre que son fils aurait été l'objet d'une arnaque.

Le député précise dans son allocution qu'il aurait connu le passé trouble de Julie Couillard seulement le 20 avril 2008 alors que cette dernière, dans une interview accordée à l'hebdomadaire 7 Jours au début de juin 2008, situe le mois d'avril 2007 comme le moment où ils auraient tout révélé de leur passé respectif. Cette version binaire sur un épisode aussi crucial de cette liaison n'est pas de nature à dissiper le brouillard qui entoure cette relation et nous oblige de nouveau à vérifier si l'intérêt public n'a pas été fragilisé durant cette période. C'est une chose de se présenter devant un auditoire converti d'avance en lisant un texte qui ne souffre aucune contradiction; c'en est une autre de convaincre la population canadienne laquelle a été tenue au secret durant une année entière.

Tant que le député n'acceptera pas de se soumettre au péril de la transquestion, plusieurs personnes seront portées à entretenir un doute sur l'ensemble de son témoignage. Sans forcément les exposer au test du polygraphe, les deux protagonistes auraient intérêt à comparaître l'automne prochain devant le Comité parlementaire de la sécurité publique et nationale, reconnaissant ainsi le principe de l'égalité de tous

devant la loi.

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