Québec au temps du scorbut - Les mariages entre Français et Sauvages à Québec
Tranches de vie des Québécois sous l'Ancien Régime, histoires cocasses ou troublantes, mémoires retrouvées d'une communauté agrippée à son cap Diamant entre dangers, plaisirs quotidiens et cohabitation avec des Amérindiens envahis. En l'honneur du 400e anniversaire de la capitale, Le Devoir publie cet été une série de chroniques compilées par l'archiviste historien Pierre-Georges Roy. Elles sont tirées de deux imposants volumes intitulés La Ville de Québec sous le régime français (1930, Publications du gouvernement du Québec).
Des écrivains malveillants ont fait grand état des mariages entre Français et Sauvages. De 1608 à 1667, soit une période de soixante ans, il y eut, à Québec, bien juste trois mariages entre Français et Sauvages.Le 3 novembre 1644, Martin Prévost, fils de Pierre Prévost et de défunte Charlotte Vien, de la paroisse de Montreuil-sur-le-bois-de-Vincennes, épousait Marie-Olivier, fille de Roch Manithabehich, sauvage. C'est le Père Barthélemi Vimont, Jésuite, qui leur donna la bénédiction nuptiale. Plusieurs enfants naquirent de ce mariage mais cinq seulement se marièrent. Marie-Olivier Manithabehich décéda à Québec le 10 septembre 1665.
Le 19 septembre 1662, Laurent Duboct, fils de Jacques Duboct et d'Élisabeth Pruneau, de Saint-Maclou de Rouen, épousait Marie-Félix, fille de Joachim Arontio et de Cécile Arenhatsi, de la paroisse de la Conception, au pays des Hurons.
Marie-Félix Arontio décéda à Montréal le 1er novembre 1680. Elle eut, elle aussi, plusieurs enfants, dont une fut religieuse aux Ursulines de Québec sous le nom de Soeur Sainte-Marie-Madeleine.
Le Récit des Ursulines fait beaucoup d'éloges de la Soeur Sainte-Marie-Madeleine. Il semble ignorer, toutefois, qu'elle avait du sang sauvage dans les veines. «La gaieté française», dit-il, «coulait de source chez elle, et sous un extérieur aussi agréable que modeste et composé, elle avait trouvé le secret de s'élever à une haute perfection religieuse, et de rendre la vertu aimable à toutes les personnes qui se trouvaient en rapport avec elle. Elle était studieuse et mettait à profit l'esprit et les talents qu'elle avait reçus du ciel. Dans ses dernières années, elle employait les récréations à enseigner aux jeunes à broder sur soie, or, écorce, et égayait toujours l'heure qui passe par mille traits d'innocente allégresse que la religion autorise et sanctifie.»
Le 26 septembre 1662, Jean Durand, fils de Louis Durand et de Madeleine Malvande, de la paroisse de Deuil, évêché de Xaintes, en Saintonge, épousa Catherine Annennontak, fille de Nicolas Arendanki et de Jeanne Otroihoandet, du bourg de Sainte-Madeleine, paroisse de la Conception, au pays des Hurons. Le Journal des Jésuites nous apprend qu'on donna une dot de 260 livres à Catherine Annennontak surnommée Créature de Dieu.
Les autorités religieuses de la colonie voyaient avec défaveur les mariages entre Français et Sauvages. En juin 1673, M. Dudouyt permettait à Nicolas Pelletier d'épouser «en face de l'église» une montagnaise, Madeleine Tegoussi, veuve d'Augustin Sauvage, mais à la condition qu'il résiderait avec sa femme non dans les bois parmi les Sauvages, mais en son habitation avec les Français, et que leurs enfants seraient élevés dans les moeurs et la langue française.
Notons ici que le célèbre gouverneur des Trois-Rivières, Pierre Boucher de Grosbois, anobli par Louis XIV, avait épousé en premières noces une sauvagesse, Marie Chrétienne. Leur contrat de mariage fut reçu aux Trois-Rivières le 17 janvier 1649, par Guillaume Audouart, commis du greffe de la cité trifluvienne. Par ce contrat de mariage les Pères Jésuites s'engageaient à donner une dot de deux cents livres à Marie Chrétienne. Ils déclaraient de plus que les Mères Ursulines de Québec étaient saisies de la somme de trois cents livres pour la dite Marie Chrétienne donnée par madame de Breté. Un reçu attaché au contrat atteste que les Pères Jésuites s'acquittèrent fidèlement de leur promesse.