Après sa mort, que reste-t-il de Jesse Helms?

Il était contre le mouvement des droits civiques et les droits des homosexuels, l'avortement et le communisme, le traité anti-missiles balistiques (ABM) et le Protocole de Kyoto. Il prenait un malin plaisir à s'opposer aux projets de ses collègues libéraux, ce qui lui avait valu d'être surnommé le «sénateur non» par la presse. Mais Jesse Helms s'en moquait: «Ce que le New York Times dit à mon sujet m'indiffère et cela indiffère également ceux que je représente.»

Le sénateur américain de la Caroline du Nord, décédé vendredi dernier, avait l'appui des conservateurs de son État et il a défendu leurs intérêts envers et contre tous durant ses trente années passées au Capitole. C'est d'ailleurs le principal legs de Helms: avoir aidé le mouvement conservateur à devenir l'une des principales forces politiques aux États-Unis. Ses admirateurs s'en réjouissent et sculpteraient volontiers le visage de leur idole dans la pierre du mont Rushmore! Mais le décès du sénateur peut également symboliser l'idée que sa vision est surannée.

Un conservateur convaincu

Jesse Helms était un entêté: il n'a jamais fait de compromis sur ses convictions et c'est pourquoi la droite juge qu'il est un «joyau national» et un «héros». D'autres affirment qu'il aurait été un grand président conservateur, à l'image de Ronald Reagan. Né à Monroe, en Caroline du Nord, en 1921, Helms découvre son attachement pour la pensée conservatrice au début des années 1940.

Éditorialiste à la radio et à la télévision locales de Raleigh durant les années 1960, il utilise sa tribune pour dénoncer le libéralisme, qui domine alors le paysage politique. Il accuse le gouvernement de ne pas en faire assez pour vaincre le communisme et dénonce les programmes de lutte contre la pauvreté et l'injustice raciale que préconise Johnson. Helms sera d'ailleurs qualifié de «raciste» à plusieurs reprises au cours de sa carrière — et avec raison. C'est notamment le cas en 1983, quand il s'oppose à la loi prévoyant une journée fériée en l'honneur de Martin Luther King.

Élu au Sénat en 1972, il promet de faire «dérailler le train du libéralisme» et de réduire la taille du gouvernement. Mais rares sont les membres du Congrès qui rallient sa cause au départ. Dans ses mémoires, le sénateur écrit que les conservateurs sont si peu nombreux durant les années 1970 qu'on peut «les réunir dans une cabine téléphonique»!

Il décide donc de contribuer à la puissance du mouvement: il étudie les règles et procédures du Sénat et finit par les connaître sur le bout de ses doigts, organise régulièrement des rencontres avec les autres conservateurs du Congrès et crée des organisations qui, comme le National Congressional Club, promeuvent les idées de droite et amassent des fonds pour les futurs candidats.

Le triomphe de Helms et de son idéologie

Le «sénateur non» voit ses efforts récompensés en 1994, quand le Parti républicain obtient le contrôle des deux chambres du Congrès pour la première fois en plus de quarante ans. Cette victoire lui permet d'obtenir la présidence de la commission du Sénat sur les relations extérieures, poste qu'il occupera jusqu'en 2001.

Helms devient dès lors l'un des principaux adversaires du président Bill Clinton, qu'il force à adopter une politique étrangère conservatrice. Au menu: sanctions économiques contre Cuba, amputation du département d'État, réduction des contributions financières américaines à l'ONU et rejet du Traité d'interdiction totale des essais nucléaires. L'influence de Helms rappelle celle des poids lourds qui ont occupé la présidence de la commission sur les relations extérieures avant lui, soit Henry Cabot Lodge, l'un des responsables du rejet américain du Traité de Versailles, Arthur Vandenberg, l'allié du président Truman au début de la guerre froide, et J. William Fulbright, le pilier du mouvement d'opposition à la guerre du Vietnam.

Déroute du mouvement conservateur

L'influence de Helms continue à se faire sentir après son départ du Sénat en 2003. Plusieurs soulignent, entre autres, que la politique étrangère de George W. Bush reflète sa vision. Le sénateur s'est aussi assuré qu'une relève poursuivrait son combat après sa mort. Non seulement a-t-il appuyé la candidature de la républicaine conservatrice Elizabeth Dole pour le remplacer au Sénat, mais plusieurs de ses anciens adjoints portent aujourd'hui son message à des postes d'influence à Washington. C'est notamment le cas de Marc A. Thiessen, l'ancien porte-parole de Helms, qui a été rédacteur de discours pour le ministre de la Défense, Donald Rumsfeld, et pour le président Bush.

Le décès de Helms soulève cependant la question de l'avenir du mouvement qu'il a aidé à mettre au monde. Ébranlée par les politiques de Bush et les déboires des majorités républicaines après 1994, la droite américaine est actuellement en déroute. La campagne présidentielle de 2008 démontre que les Américains n'ont pas la tête aux idées de Helms: le meneur de la course, Barack Obama, tient un discours très différent de celui de George W. Bush — et aux antipodes de celui du sénateur.

Qui plus est, les républicains ont choisi leur candidat le plus modéré pour les représenter en novembre, préférant John McCain à des politiciens plus à droite comme Mike Huckabee, Fred Thompson et Mitt Romney. Est-ce à dire que le mouvement conservateur passera bientôt l'arme à gauche comme Helms? Ce pronostic serait exagéré. Mais les tergiversations du conservatisme font certainement mentir ceux qui, après l'élection de 2004, annonçaient la mort du libéralisme. Et c'est exactement ce que le décès de Helms peut symboliser: l'idée que sa vision appartient au passé et que l'avenir est ailleurs.

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