Libération d'otages en Colombie - Motifs de réjouissance et zones d'ombre
Avocats sans frontières Canada (ASF) se réjouit de la libération, mercredi dernier, de quinze otages détenus par les Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC), dont l'ex-candidate à la présidence Ingrid Betancourt.
Plusieurs des personnes libérées étaient détenues depuis des années dans des conditions inhumaines. C'est une grande joie et un soulagement pour tous de les voir de nouveau réunies avec leurs proches.C'est également un événement positif pour la Colombie. Bien que certains émettent des doutes sur le fait que le paiement d'une rançon ait été négocié ou non, on sait pour l'instant officiellement que la libération est le fruit d'une opération sans bavure de l'armée colombienne, apparemment réalisée sans recours à la force, et qui porte un dur coup aux FARC, le principal groupe armé illégal de la guérilla colombienne qui se rend coupable d'atroces violations des droits humains depuis des années.
Malgré cet événement heureux, la situation est encore grave en Colombie, où non seulement la guérilla mais également les paramilitaires, des groupes armés illégaux dits de droite, continuent d'agir, parfois avec l'appui de l'État. Les défenseurs des droits humains sont également systématiquement victimes de menaces, d'intimidation et d'agressions. Ainsi, dans les derniers jours, au moins deux autres syndicalistes et trois défenseurs des droits humains ont été assassinés, alors que des menaces ont été lancées contre divers individus et organisations.
Conséquences désastreuses
S'appuyant sur son expérience issue d'une douzaine de missions en Colombie depuis 2003, ASF a publié en décembre 2007 un rapport d'observation sur la situation de la justice et des avocats défenseurs des droits humains en Colombie. Ce rapport contient les témoignages sur des cas récents qui démontrent que les agressions et les actes de violence contre les défenseurs des droits humains continuent, notamment les assassinats et les tactiques de menace ou d'intimidation qui ont pour conséquence le déplacement forcé ou l'exil.
Malheureusement, le domaine de la justice est loin d'être le seul à faire l'objet de constatations aussi dramatiques. La Colombie est un pays où fait rage depuis plus de 40 ans un conflit civil armé aux proportions effarantes. L'Organisation des Nations unies (ONU) et l'Organisation des États américains (OEA) estiment que la situation des droits humains en Colombie est l'une des plus graves dans l'hémisphère.
Les statistiques de l'ONU, de l'OEA et de plusieurs grandes organisations internationales convergent toutes vers les mêmes conclusions: le conflit colombien cause la mort violente de plusieurs personnes par jour, encore plus du côté des civils non armés que des combattants des forces de l'ordre, de la guérilla ou des paramilitaires. Le nombre de personnes déplacées de force à l'intérieur du pays s'élève aujourd'hui à près de 3,7 millions, soit environ 9 % de la population du pays.
Une partie d'un grand problème
La guérilla, notamment les FARC, est responsable d'une partie de ces crimes, dont les enlèvements et les déplacements forcés, et ASF les dénonce avec force. Tant mieux si leur capacité de nuisance et leur influence vont en diminuant. Leur éradication ou leur reddition contribuera grandement à l'atteinte de la paix. Cependant, les FARC ne constituent qu'une partie du problème colombien.
En réalité, les paramilitaires constituent une menace terroriste aujourd'hui encore plus grande dans ce pays. Ils sont désormais responsables d'un nombre effarant de violations des droits humains. On parle de massacres de populations civiles, d'assassinats (notamment de membres et de leaders de groupes ciblés tels que syndicalistes, paysans, autochtones, journalistes, partis d'opposition, élus municipaux, juges, avocats, défenseurs des droits humains, etc.), d'exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de menaces et d'intimidation, etc. Malheureusement, l'État colombien n'est pas lui non plus exempt de reproches.
Responsabilité de la Colombie
Des décisions de la Cour interaméricaine des droits de l'homme et des tribunaux colombiens ont en effet établi hors de tout doute que l'État colombien se rend lui-même responsable de violations des droits humains et que des liens entre divers paliers de l'État et les paramilitaires (les milices armées illégales qui commettent les crimes les plus atroces à travers le pays) continuent d'exister. Ces liens sont maintenant révélés au grand jour, avec une vague sans précédent d'arrestations, d'inculpations et de peines d'emprisonnement à l'encontre de membres du Congrès, de politiciens locaux, de fonctionnaires publics et de membres des forces de l'ordre, pour la plupart liés au parti au pouvoir.
De fait, ces arrestations et inculpations touchent aux plus hauts niveaux du gouvernement et l'entourage du président colombien actuel, Álvaro Uribe Vélez. Le cousin du président et la famille de sa ministre des Affaires étrangères ont entre autres été impliqués dans le scandale de la «parapolitique». Mais l'un des cas les plus symboliques est certainement celui de Jorge Noguera, directeur du Département administratif de la sécurité (le DAS, en quelque sorte l'équivalent de la Gendarmerie royale du Canada) et chef de campagne du président Álvaro Uribe Vélez en 2002. Accusé d'avoir laissé infiltrer le DAS par les paramilitaires et d'avoir collaboré avec eux, notamment en leur remettant des listes de syndicalistes à faire assassiner, il a été destitué et la Cour suprême l'a fait emprisonner dans l'attente de son procès.
Réjouissance mais vigilance
Le gouvernement refuse cependant toujours de faire arrêter, d'accuser ou de punir plusieurs membres des forces publiques et de l'appareil étatique dont la responsabilité relativement à de graves violations des droits humains a été établie par des tribunaux. Dans la même veine, les paramilitaires prétendument démobilisés continuent de commettre des crimes sans nom, de terroriser les populations locales et de contrôler des pans entiers de l'économie et de la vie politique locale, régionale et nationale.
Preuve frappante de l'état lamentable des droits humains en Colombie, s'il en fallait une autre: le National Post avançait, dans son édition du 17 juin 2008, que même les diplomates canadiens en poste à Bogotá ont reçu des messages de menace de la part des paramilitaires.
En bref, la Colombie demeure un État où la primauté du droit, la justice et la lutte contre l'impunité sont mises à mal, où le gouvernement ne respecte pas ses obligations internationales eu égard aux droit humains. La légitimité de l'élection d'Álvaro Uribe Vélez pourrait même être remise en question par la Cour suprême de la Colombie en raison des liens entretenus par certains de ses proches et des membres de son gouvernement avec les paramilitaires.
En ce moment de réjouissance, ASF invite donc la communauté internationale et les autorités canadiennes à demeurer vigilantes relativement à la situation des droits humains en Colombie.