Poursuites-bâillons - L'adoption d'une loi est nécessaire

Voilà près de deux ans, l'Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA), le Comité de restauration de la rivière Etchemin (CRRE) et une poignée de militants dévoués ont lancé la campagne Citoyens, taisez-vous! Cette campagne devait alerter le public et les autorités publiques à propos des menaces que font courir les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique — mieux connues sous l'acronyme anglais SLAPP — au droit de participation publique et à la liberté d'expression des citoyens et citoyennes du Québec. Citoyens, taisez-vous! devait également organiser un mouvement de solidarité en faveur de l'AQLPA, du CRRE et de 11 citoyens poursuivis pour plus de 5 millions de dollars par un ferrailleur. [...]

Comité d'experts

Dès le lancement en octobre 2006 de cette campagne, le ministre de la Justice de l'époque, Yvon Marcoux, a annoncé qu'il mandatait un comité d'experts pour évaluer la situation prévalant au Québec sur la question des SLAPP. Ce comité devait également proposer au ministre des mesures législatives appropriées s'il concluait à la nécessité de le faire. Présidé par le professeur Roderick A. Macdonald, ce comité a remis son rapport au gouvernement en mars 2007.

Ses conclusions sont sans équivoque: les SLAPP constituent une «réalité observable» au Québec, ces dernières se présentent comme «une véritable menace pour la participation des citoyens et des groupes au débat public» et constituent «une menace pour la démocratie participative et un véritable risque de détournement des finalités de la justice». Le comité d'experts a enjoint le gouvernement d'agir législativement sur la question et lui a proposé des mesures à entreprendre afin d'endiguer le phénomène.

La société civile québécoise a fait sienne cette recommandation et a rappelé avec insistance au législateur l'urgence d'entreprendre des mesures législatives.

Commission des institutions

Accusant réception du rapport Macdonald, l'Assemblée nationale a mandaté la Commission des institutions pour en étudier plus attentivement le contenu. Elle devait aussi procéder à une consultation publique sur les problématiques sociales et juridiques que ce rapport met en lumière. Des auditions publiques ont récemment pris place sur la question et se sont conclues il y a un peu plus d'un mois. La quasi-totalité des groupes ayant défilé en commission parlementaire ont appuyé l'idée d'une action législative. Ces auditions publiques ont exprimé le large consensus social existant au Québec quant à la nécessité d'agir législativement sur la question des poursuites-bâillons.

Nous avons ainsi su convaincre le ministre actuel de la Justice, Jacques Dupuis, de déposer un projet de loi d'ici la fin de la session parlementaire afin de protéger les citoyens et citoyennes du Québec des poursuites abusives. Le ministre Dupuis s'est en effet montré sensible aux préoccupations exprimées par la société civile québécoise et s'est engagé

publiquement à agir sur la question. [...]

Bataille à venir

Cela dit, la bataille la plus importante reste devant nous. Nous devons d'abord nous assurer que le projet de loi soit mené à terme. Il est également impératif que le modèle législatif devant être soumis à l'Assemblée nationale puisse régler, d'une manière rapide, efficace et sans équivoque, la problématique des poursuites-bâillons au Québec. Nous n'accepterons pas un projet de loi cosmétique ne venant offrir qu'une apparence d'action sur la question.

Une telle intervention devrait viser les objectifs suivants: la protection du droit à la participation au débat public, la dissuasion des initiateurs de SLAPP, la possibilité de faire rejeter rapidement ces poursuites abusives, l'équité du processus judiciaire.

Pour atteindre ces objectifs, l'adoption d'une loi est nécessaire et devrait comprendre les éléments suivants: la reconnaissance du droit à la participation publique; l'établissement d'une procédure d'urgence pour faire rejeter les poursuites-bâillons; le renversement du fardeau de la preuve en faveur des victimes de SLAPP; un soutien financier aux victimes de SLAPP, le remboursement des dépens et des frais extrajudiciaires à la partie dont la liberté d'expression a été bafouée et l'attribution de dommages-intérêts punitifs; et la possibilité de faire annuler les clauses-bâillons dans les ententes hors cour. [...]

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