Libre-Opinion: À l'heure du cri du coeur de la relève

L'automne 2007 aura définitivement pris des allures de grand-messe culturelle dans la métropole: des États généraux du théâtre en passant par le Sommet 2007, grand rendez-vous chapeauté pour Culture Montréal, on a voulu la culture au centre de la chose publique. On a lancé la vitrine culturelle et sa billetterie dernier cri. Québec et Ottawa ont finalement confirmé leur soutien à la réalisation prochaine de la fameuse place des Festivals et l'aménagement du Quartier des spectacles se poursuit. Notre Place des Arts a annoncé sa prochaine chirurgie esthétique. Il ne manquait plus que le Conseil des arts de Montréal annonce sa cure de jouvence, tant attendue, tellement nécessaire, pour qu'on se pince, tous en choeur, pour être certains de ne pas rêver.

Quinze ans après l'adoption de notre politique culturelle, alors que les programmes de soutien public des agences de nos trois ordres de gouvernement se sont multipliés au rythme des nouvelles pratiques artistiques, la relève a poussé un grand cri à l'aide l'automne dernier. Ce cri restera en travers de la gorge de la prochaine génération de talents si rien n'est fait pour redéfinir le mode de financement public et privé de nos artistes des arts de la scène, de leurs théâtres, de leurs compagnies de danse et de ceux qui les diffusent.

Les instances gouvernementales ont beau répondre à leurs doléances en créant de nouveaux programmes pour la relève, comme le Conseil des arts et des lettres du Québec l'a fait récemment, ce problème deviendra cyclique, voire chronique, si on ne prend pas conscience du déséquilibre entre le financement des compagnies et artistes reconnus et la relève, dû notamment à un problème de gouvernance.

Devant le problème du plafonnement et de la répartition des fonds publics aux arts et à la culture, on a tendance à sacraliser le financement privé aux arts. Ce n'est toutefois pas en se comparant à Toronto et au reste du Canada, statistiques à l'appui, qu'on réglera la question. Pas plus qu'en créant des programmes publics d'appariement de fonds de dotation du type Placement Culture alors qu'il n'existe pas de véritable culture du mécénat culturel chez nous, sauf quelques très grandes institutions. Au contraire. On s'enlisera dans l'obsession du privé à tout prix, pour et par tous.

Le financement privé devient toutefois une voie de renouvellement des modes de financement et de gouvernance quand il suscite la responsabilisation des artistes, des gestionnaires culturels et des instances publiques à l'égard du milieu culturel, de la relève et de la collectivité. Et puisque nos gens d'affaires comprennent davantage aujourd'hui les enjeux et le rôle moteur des arts dans le développement de la cité, du Québec, ils souhaitent participer vraiment à l'exercice consistant à soutenir les artistes. Si une refonte des modes d'intervention étatique et de la philosophie qui sous-tend le financement qui en découle n'est pas réexaminée, nous resterons dans le registre des beaux sentiments, des discours et des grands-messes.

Pour une meilleure gouvernance

Combien d'organismes des arts de la scène à Montréal, avec à leur tête des directeurs artistiques dont la vision suscite la fierté dans notre communauté, ont-ils le potentiel de mettre en place une véritable structure de financement privé et ne le font pas? Bien sûr, ils organisent pour la plupart des soirées-bénéfice annuelles, mais ils se servent de cette activité comme d'un levier structurant pour leur développement.

Avec votre large reconnaissance dans la communauté, messieurs dames, avec un public fidèle qui remplit vos salles, festival après festival, saison après saison, vous avez les bases solides nécessaires pour vous activer afin d'attirer et de fidéliser les commanditaires et les mécènes. Pas seulement pour vendre des billets une fois l'an, toujours aux mêmes. Et ne me dites pas que le Canadien de Montréal est toujours plus glorieux que vous ou que les Céline et consorts attirent plus facilement l'attention sur tous les hôpitaux Sainte-Justine de ce monde.

Tout l'automne, la présidente de la Chambre de commerce de Montréal vous l'a répété sur toutes les tribunes: ses membres n'attendent que votre appel. La balle est dans les deux camps. S'ils ne répondent pas, ils devront porter l'odieux de leurs gestes. On vous donne si vous demandez. Point. Au fil des ans, et même de plus en plus, à condition que s'établisse d'abord une véritable relation de confiance, d'intimité. Cette culture du mécénat pour nos joueurs artistiques les plus populaires encore frileux est bien sûr une entreprise à long terme dans notre monde si virtuel, mais elle doit s'établir dès maintenant pour assurer le financement public à long terme des arts de la scène, celui de notre relève, et surtout pour favoriser la mobilisation véritable et concrète des gens d'affaires au devenir de la vie culturelle de notre cité.

Ce genre de révolution tranquille de la gestion des arts au Québec commence avant tout par une réforme du mode de fonctionnement des conseils d'administration de nos organismes, où les règles de gouvernance sont très laxistes. Comme dans le secteur privé et dans certaines de nos sociétés d'État, où une révision en profondeur de la gouvernance s'est opérée ces dernières années, un exercice similaire au sein de nos compagnies s'impose.

Combien de nos organismes reconnus comptent les mêmes membres qui siègent à leur conseil depuis des lunes, quand ce n'est pas depuis leur fondation? Combien d'entre eux ont-ils le même président du conseil depuis dix ans? Des masses. J'enjoins donc aux représentants de nos conseils des arts d'inciter nos organismes à évoluer plus stratégiquement en fonction de leurs besoins actuels. Un conseil d'administration ne doit pas être dirigé par les mêmes membres à vie, par ses amis artistes ou collaborateurs de la première heure mais par des bénévoles actifs qui font en moyenne deux mandats et qui sont issus des différentes sphères de la communauté. Ainsi, nos organismes verront leur bassin de supporters bénévoles s'étendre, se renouveler et s'activer en répondant à leur cycle de développement. Plusieurs crises récentes d'organismes culturels prouvent ces carences. Et que cesse la phobie des gens d'affaires qui pourrait brimer la démarche de l'artiste! Elle n'a plus lieu d'exister en 2008.

À juste titre, on s'enorgueillit de nos Lock, Chouinard, Marleau, Lepage, de ces artistes qui participent activement à notre rayonnement sur la scène internationale. Pour nos gens d'affaires, nos politiques, ce sont des ambassadeurs à l'étranger, une carte de visite sans égale. Avant tout, les artistes qui nous animent définissent une part importante de notre identité en tant que Montréalais, Québécois. Notre contexte géopolitique sous-entendra toujours que l'État soit au tout premier rang pour les soutenir. Mais en réformant les modes de gestion et de financement, nous nous assurerons que notre milieu soit en meilleure santé et que la relève soit davantage occupée à créer qu'à crier au loup.

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