La refonte de la carte électorale en 2008 - S'en tenir aux principes de représentation effective
La Commission de la représentation électorale doit procéder à une nouvelle délimitation des circonscriptions électorales. Son rapport préliminaire, attendu ce mois-ci, sera suivi de consultations à compter d'avril. La nouvelle carte sera mise en vigueur fin novembre. J'énoncerai ici certains principes qui, à mon avis, doivent guider la Commission.
Le cadre juridiqueLa carte électorale et ses modifications sont visées aux articles 14 à 33 de la Loi électorale, qui prévoit que le Québec est divisé en circonscriptions électorales délimitées de manière à assurer le respect de la représentation effective des électeurs tout en tenant compte de l'égalité du vote des électeurs. Le nombre d'électeurs de chaque circonscription doit être égal à la moyenne générale des électeurs, sous réserve d'un écart de plus ou moins 25 %. La commission a cependant le pouvoir de s'écarter exceptionnellement de cette règle si elle estime que son application ne permet pas d'atteindre l'objectif recherché par la loi. Les îles de la Madeleine constituent une exception statutaire à cette règle.
Dans l'arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a établi les fondements des principes de représentation prévus par la Charte canadienne des droits. Se demandant dans quelle mesure on peut s'écarter de la règle «une personne, une voix», la cour a précisé que «l'objet du droit de vote garanti à l'article 3 de la Charte n'est pas l'égalité du pouvoir électoral en soi mais le droit à une "représentation effective". Notre démocratie est une démocratie représentative. La représentation suppose la possibilité pour les électeurs d'avoir voix aux délibérations du gouvernement aussi bien que leur droit d'attirer l'attention de leur député sur les griefs et leurs préoccupations».
La refonte de 1998-2001
Lors de la dernière refonte de la carte électorale, entreprise au lendemain des élections de 1998, la Commission a diminué de 30 à 28 le nombre de comtés de l'île de Montréal, attribuant un siège additionnel à la Montérégie (Soulanges) et aux Laurentides (Mirabel), et créé cinq comtés d'exception dont le nombre d'électeurs est inférieur à l'écart minimum de 25 %: Ungava (-47 %), Gaspé (-32 %), Matane (-34 %), Bonaventure (-32 %) et Matapédia (-29 %).
La commission s'appuyait alors sur des tendances démographiques qui n'ont fait que s'accentuer. Entre 2000 et 2007, le nombre total des électeurs a augmenté de 291 446. Les régions en perte de population lors de la dernière refonte ont poursuivi leur déclin, soit l'Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord, la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et le Saguenay-Lac-Saint-Jean. À l'opposé, cing régions ont connu une croissance de la population électorale supérieure à la moyenne provinciale: Laval, Laurentides-Lanaudière, Estrie-Bois-Francs, Montérégie et Québec (rive nord). L'île de Montréal n'a pas connu de croissance de sa population électorale.
L'examen des écarts circonscription après circonscription démontre qu'outre les six circonscriptions d'exception acceptées en 2001, huit comtés ne respectaient plus, lors des élections de 2007, la limite inférieure de 33 783 électeurs: Abitibi-Est, Abitibi-Ouest, Rivière-du-Loup, Lotbinière, Montmagny-L'Islet, Frontenac, Mégantic-Compton et Charlevoix. À l'autre bout du spectre, six circonscriptions dépassaient la limite supérieure de 56 305 électeurs, soit Drummond, Fabre, Masson, Prévost, Chambly et Châteauguay.
La refonte de 2008
La première question qui doit être résolue est la notion d'exception prévue à l'article 17 de la Loi électorale: déterminer l'étendue du pouvoir de la Commission de s'écarter de la règle du plus ou moins 25 %. Cette question est déterminante compte tenu du nombre maximum de 125 circonscriptions; elle est délicate parce qu'en cette matière la discrétion de la commission n'est ni arbitraire ni absolue mais encadrée, comme nous l'avons vu, par les critères établis par la Cour suprême tout en étant sujette à révision judiciaire.
Je suis personnellement d'avis: 1- que les circonscriptions d'exception de la Gaspésie doivent être maintenues, 2- que le nombre maximum de circonscriptions d'exception est atteint et 3- que deux ou possiblement trois nouvelles circonscriptions doivent être créées, une dans Lanaudière, une autre dans Laval et, possiblement, une troisième en Montérégie.
Dans son rapport du 4 décembre 2001, la Commission de la représentation électorale justifiait le maintien des circonscriptions de la Gaspésie en se basant sur le fait que la faible densité de la population et les distances à parcourir représentaient des facteurs qui compromettaient la représentation effective de la population gaspésienne. De 2000 à 2007, la population totale des quatre comtés de la Gaspésie a diminué de seulement 1966 électeurs, soit une moyenne de 491 électeurs par comté; la situation a donc très peu changé. Si la Commission abolissait un comté de la Gaspésie, il lui faudrait reconnaître qu'elle a erré en 2001, ce qui ouvrirait possiblement la porte à une révision judiciaire.
Le pouvoir de la Commission de créer des circonscriptions d'exception est lui-même exceptionnel et, par conséquent, doit être interprété de façon restrictive: c'est d'ailleurs ce qu'affirme la Cour suprême dans l'arrêt Carter.
À cet égard, il est certainement utile d'examiner comment certaines autres juridictions canadiennes ont interprété cette notion d'exception. Au niveau fédéral, seules deux circonscriptions sur 305 ont ce statut. L'Ontario, qui reproduit le découpage électoral fédéral, n'en compte qu'une, le Manitoba aucune, la Saskatchewan deux, l'Alberta et la Colombie-Britannique une seule chacune.
Au Québec, nous avons à mon avis atteint le nombre maximum de circonscriptions d'exception.
Les nouvelles circonscriptions
La région de Lanaudière a connu une forte augmentation démographique entre 2000 et 2007, enregistrant en moyenne une augmentation de plus de 6000 électeurs par comté, avec le résultat qu'elles comptent chacune plus de 50 000 électeurs. Avec 58 459 électeurs, Masson dépasse déjà la moyenne supérieure, Berthier, Bertrand, L'Assomption, Rousseau et Terrebonne se rapprochant rapidement du chiffre magique. Le principe de la représentation effective des électeurs requiert à l'évidence la création d'un nouveau comté dans cette région.
Avec une moyenne de 54 208 électeurs, l'île de Laval continue d'être la région la plus sous-représentée du Québec. Quatre des cinq circonscriptions de Laval comptent plus de 54 000 électeurs: Fabre, Vimont, Mille-Îles et Chomedey. L'ajout d'une circonscription à Laval porterait sa moyenne d'électeurs à 45 173 par comté.
Avec 21 circonscriptions et 1 017 893 électeurs, la Montérégie est, après Montréal, la région la plus populeuse du Québec et a comme particularité de compter neuf circonscriptions semi-rurales et douze circonscriptions urbaines. Un examen attentif de la carte électorale de cette région révèle qu'en général, les comtés semi-ruraux sont situés en périphérie des comtés urbains et ont des populations électorales qui se rapprochent de la moyenne provinciale alors que les comtés urbains supportent en général des populations électorales qui se situent soit au-dessus, soit près de la limite supérieure de 56 305 électeurs. Un cartographe amateur comme moi ne bénéficie pas des données qui lui permettraient de donner un avis éclairé; prudemment, il se contente d'attirer l'attention.
Compte tenu du nombre maximum de 125, l'introduction de deux ou trois nouvelles circonscriptions requiert le regroupement et le redécoupage de certains comtés avec le résultat qu'un nombre équivalent de circonscriptions doivent disparaître dans leur forme actuelle. Lors de la dernière refonte, la Commission avait adopté une solution de facilité, selon mon point de vue, en diminuant le nombre de comtés de l'île de Montréal de 30 à 28. Il est à souhaiter que cette fois-ci, la Commission examine davantage les circonscriptions dont le nombre d'électeurs se situe sous la limite inférieure ou près de celle-ci.